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l’honneur et pour les honnêtes gens que jamais aucun mauvais sujet ne put l’approcher, encore moins le circonvenir ou durer auprès de lui… Cet instinct, ce goût inné pour ce qui est honnête préserva le duc d’Orléans de toute contagion avec les gens d’un caractère équivoque, quelque aimables qu’ils pussent être d’ailleurs. Cela n’empêche pas que le goût du plaisir ne l’entraînât quelquefois, tout comme un autre, dans la mauvaise compagnie, mais la dignité de son rang et une certaine bienséance le suivaient jusque dans ses orgies ; ses compagnons de plaisir y trouvèrent toujours le prince. Le respect dû au public ne fut jamais blessé ; le secret environnait ces parties, et au milieu de ces petits écarts dont personne ne voyait les traces, la cour du Palais-Royal jouissait de l’existence la plus brillante. Tout ce qu’il y avait en France de plus aimable, de plus à la mode, de plus respectable aspirait à l’honneur d’y être admis ; on n’était pas de bon ton sans en être, et si Louis XV était roi à Versailles, on appelait le duc d’Orléans le roi de Paris. »

L’ambition de Grimm ne fut pas satisfaite par une place qui, comme il s’en assura assez vite, ne pouvait le conduire à rien de plus. Il se sentait les qualités du diplomate, le coup d’œil, le jugement, ce je ne sais quoi qui rend propre au maniement des hommes et des intérêts publics. Sa gazette manuscrite l’avait mis en relation avec des princes et des princesses à l’étranger ; de plus, il avait fait à Genève la connaissance de Mallet, l’historien du Danemarck, qui entretenait une correspondance politique avec des cours allemandes, et qui parait avoir été le premier à exciter l’ambition de Grimm en lui ouvrant la perspective de représenter ces cours à Paris. On ne s’étonnera donc point si une lettre à Diderot nous le montre, au mois de mai 1759, sur le point d’entrer dans la carrière, et cherchant à faire accepter à Mme d’Épinay les sacrifices qu’allait entraîner un nouveau genre de vie. Il écrit de Genève, où son amie suivait depuis dix-huit mois un traitement de Tronchin, et où il avait été appelé près d’elle par une aggravation de la maladie : « J’épuise pour l’encourager, dit-il, tout ce que la philosophie peut dicter de plus vrai et, il faut l’avouer, de moins consolant pour un cœur sensible. C’est que je cherche moins à la consoler qu’à diminuer en elle cette ivresse qui ferait le bonheur de ma vie si nous étions destinés à vivre comme nous avons vécu depuis quatre mois. Elle sera toujours l’objet de toute ma tendresse et de tous mes soins, mais je pourrais bien à mon tour être détourné de cette douce occupation par des devoirs et des affaires, qui, à vue de pays, vont se multiplier. La ville de Francfort me presse de me charger d’entretenir une correspondance avec elle ; cette occupation me plaît et me convient fort, en ce qu’elle met à portée de montrer ce qu’on sait faire. Je n’attends pour accepter que le consentement du prince