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la guerre lui avait deux fois valu la visite, et qui professait pour elle une amitié suffisamment attestée, du reste, par une correspondance soutenue pendant dix années.

Le lecteur se rappelle que Grimm, à son arrivée en France, avait été un moment attaché à la maison du fils aîné de la duchesse, alors en séjour à Paris. Les relations qu’il avait formées en cette occasion, celles en particulier qu’il avait conservées avec Klupffel, devaient le conduire tôt ou tard à la cour de Gotha. Il y fut fort bien reçu dans son voyage de 1762, et devint, à partir de cette époque, le correspondant et le chargé d’affaires privé de la duchesse. Sans titre et, à ce qu’il paraît, sans rémunération, il s’acquittait pour elle de toutes sortes de services et de commissions. M. Tourneux a retrouvé les lettres de Grimm dans les archives du duché, il en a publié la partie qui lui a paru la plus intéressante, et il a en la bonté de me confier le reste. La collection n’est probablement pas complète, car elle s’arrête au mois de février 1766, tandis que la duchesse ne mourut qu’au mois d’octobre de l’année suivante.

Une pièce récemment tirée du dépôt des affaires étrangères nous fait connaître dans toute sa sincérité l’opinion que Grimm avait de sa correspondante, et elle nous le montre en même temps, d’une manière bien curieuse, occupé à guetter les affaires diplomatiques, à faire valoir ses avis et ses services, à les offrir sans attendre qu’on les lui demande.

Les rapports restèrent assez longtemps suspendus entre la France et la Prusse après la guerre de sept ans. Les deux cours se gardaient réciproquement rancune, et ni l’une ni l’autre ne voulait faire les avances, bien qu’elles sentissent également la nécessité de renouer, la Prusse à cause de nombreux et pressans intérêts commerciaux, et la France pour essayer de prévenir une nouvelle guerre. Grimm, en cet état de choses, eut l’idée que la duchesse de Saxe-Gotha, liée comme elle l’était avec Frédéric et très écoutée de lui, pourrait ouvrir la voie aux négociations. Il comprenait l’importance que devait lui donner une initiative de sa part en cette affaire, et il écrivit la lettre suivante à une personne dont le nom n’est pas indiqué, mais qui était évidemment en position d’en faire usage. Grimm, lorsqu’il représentait la ville de Francfort, avait formé dans les bureaux des ministères des relations qu’il conservait avec soin, et qui lui permettaient, au besoin, de faire arriver un avis sous les yeux d’un ministre. La lettre est du 6 mai 1765.

« J’ai pensé que, supposé qu’on eût le projet de se rapprocher du roi de Prusse, on trouverait difficilement un meilleur canal que celui de Mme la duchesse de Saxe-Gotha : 1° parce que tous les princes protestans d’Allemagne désirent vivement ce retour de