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vivait à Buxweiler, dans le Hanau, tandis que lui exerçait ses grenadiers dans sa résidence de Pirmasens en Palatinat. Le service prussien les réunit pendant quelques années à Prenzlau et quelquefois à Berlin, et la mort du vieux Louis VIII les appela à Darmstadt, mais sans que le nouveau landgrave pût se résoudre à élire domicile d’une manière permanente dans sa capitale. C’est Caroline qui resta chargée d’y représenter l’autorité souveraine dans un château à peine habitable et dans la gêne d’une économie forcée. Son mari n’était guère homme à l’associer aux affaires publiques, mais elle aimait la musique, goûtait également la littérature française et les produits du génie naissant de l’Allemagne, trouvait du temps pour une vaste correspondance et s’occupait avec soin de l’éducation de ses enfans. Elle en avait huit, sur lesquels cinq filles, dont l’établissement, ainsi que nous le verrons, devint le grand souci de leur mère. M. Walther, à l’obligeance duquel j’ai dû la communication des lettres de Grimm conservées à Darmstadt, a publié en deux volumes celles de Caroline, toutes, chose curieuse, écrites en français, et qui témoignent des qualités à la fois aimables et viriles de la princesse. La grande landgrave mourut en 1774. Frédéric, qui faisait d’elle un cas particulier, voulut qu’on mît pour épitaphe sur sa tombe : Sexu femina, ingenio vir, traduction d’un mot plus familier et que Grimm se plaisait à rappeler : « Elle n’est pas femme, celle-là ! » s’était écrié, dans je ne sais quelle occasion, le misogyne souverain.

Courtisan, profondément courtisan comme il l’est, Grimm a la qualité essentielle de son état, celle qui consiste à adapter son langage aux personnes et aux circonstances. Le ton de ses lettres à la landgrave n’est pas celui de sa correspondance habituelle avec les têtes couronnées. Il y a encore des complimens, des hyperboles, il n’y a plus d’adulation. Grimm est, avec la princesse de Hesse, sur le pied, — c’est sa propre expression, — d’un tendre respect. Et on lui rend en confiance l’attachement qu’il éprouve, en considération affectueuse le dévoûment dont il donne tant de preuves. Il est de la famille. Il s’intéresse à tous et à tout, à la mère et aux frères de Caroline comme à ses enfans, à sa santé, à ses occupations, à ses constructions, à ses voyages, à l’éducation et au mariage de ses filles. Il fait les commissions, cela va sans dire : le plus souvent des envois de livres ou de partitions d’opéras ; quelquefois des renseignemens utiles, sur la garance, par exemple, dont il s’agissait d’introduire la culture dans la liesse ; d’autres fois encore des règlemens de frais de guerre comme ceux dont il s’était occupé pour la duchesse de Saxe-Gotha. Il n’écrit pas seulement à la mère, mais aussi à l’une de ses filles, la princesse de Prusse, s’inquiète de son bonheur domestique, s’intéresse à ses