Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/569

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Joseph, qu’on la lui fît rencontrer sur son chemin. Il est vrai que Joseph demande une brune, mais Marianne « n’est pas d’un blond à effrayer. » Elle devra aller à la messe : Grimm lui pardonnera cette faiblesse pour une si bonne raison. La jeune fille répondit mal à ces hautes ambitions ; elle se maria sur le tard et avec un cousin, duc de Bavière.

Grimm est trop expérimenté pour s’obstiner dans un projet au risque de laisser passer les autres chances que la fortune pourrait lui offrir. C’est, au contraire, un général qui a des troupes de réserve et qui se ménage une ligne de retraite. Au moment même où il vise le plus haut, où il se flatte d’arriver au trône impérial de Russie, il est prêt, s’il le faut, à se rabattre sur de moindres couronnes. Gustave III, encore prince royal, et son frère faisaient, au commencement de 1771, un voyage de France, que la mort de leur père allait subitement interrompre. Grimm, là-dessus, de se demander s’il n’y a point quelque parti à tirer de cette occurrence. « Au milieu de tous mes châteaux en l’air, je suis fâché que les mauvais chemins aient retardé les princes de Suède si longtemps. J’aurais voulu que Votre Altesse se fût trouvée à Deux-Ponts pendant leur séjour, relativement à ces châteaux de relais que j’élève dans ma tête ; car, quand je n’en peux pas élever jusqu’à trente pieds de haut, je me contente d’aller jusqu’à dix-huit. Mais peut-être ces princes ont-ils passé à Darmstadt ; on les attend encore ici cette semaine. »

Le grand œuvre de Grimm, son triomphe, son Austerlitz fut le mariage de la princesse Wilhelmine, la quatrième des filles de la landgrave. Elle était née en 1755 ; Grimm l’avait vue à son passage à Darmstadt, en 1769, et s’occupa dès lors de lui chercher un mari. Il lui avait trouvé la physionomie heureuse et conservait le souvenir de ses « yeux bien fendus » qui deviennent, dans ses lettres, la désignation habituelle et comme le nom convenu de la jeune fille. Ses idées, d’accord sans doute avec celles de la mère, et lorsque Wilhelmine n’avait encore que quinze ans, se tournèrent vers la Russie. C’était une affaire à préparer de longue main, le tsarowitz Paul, le fils de Catherine, n’ayant lui-même que quelques années de plus que la princesse de Hesse. Il y avait, d’ailleurs, un changement de religion à effectuer, condition à laquelle le landgrave paraissait moins résigné que sa femme. Grimm, lui, n’est pas arrêté par si peu. Il veut qu’on emploie les délais « à édifier tout doucement à la grecque. » Il se refuse à admettre qu’on laisse la chose à la décision de la princesse ; c’est là un abus du libre arbitre. On le tient, du reste, au courant des dispositions de toutes les parties intéressées. « Le dialogue, dont Votre Altesse a la bonté de me faire part, m’a enchanté. Je suis également content de la mère et de la fille, et je vois que