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aucun service réel. La seule voie de les reconnaître qui me soit ouverte, c’est de m’attirer des marques de faveur et d’estime de la part des princes étrangers, afin que celui à qui je suis puisse se dire que ses bienfaits tombent au moins sur un homme estimé. J’avais enfilé, il y a dix ans une autre route pour m’acquitter, mais un malheur bizarre et inattendu m’a jeté hors de la carrière en un clin d’œil, et mon peu d’ambition ne m’a pas permis de lutter contre les événemens[1]. Cependant, même à cet égard, la chimère dont j’ose entretenir Votre Altesse pourrait avoir des suites favorables pour moi. »

Ainsi le principal motif de Grimm pour demander l’étoile polaire est le désir de prouver au duc d’Orléans et aux Français qu’il est tenu pour un personnage de quelque valeur… en Suède ! La landgrave Caroline devait avoir de la peine à réprimer un sourire en voyant de quelles grossières finesses son protégé croyait pouvoir user avec elle.

Grimm revient plusieurs fois à « ces rêves impertinens et extravagans, » comme il les appelle, mais qui ne lui en tiennent pas moins à cœur. Il n’ose pas trop presser, et ne voudrait pourtant pas qu’on l’oubliât. Ses protecteurs firent de leur mieux, le prince Henri prit l’affaire à cœur, mais en vain. On lui objecta que l’étoile polaire ne se donnait qu’à la noblesse. Cette réponse mortifia singulièrement l’amour-propre de Grimm. « Je croyais, dit-il, que c’était le mérite qui me manquait, et non la qualité, ma famille occupant les premières places de magistrature dans une ville libre et impériale, et indépendamment de mon titre de conseiller de légation de la cour de Gotha, le titre que je tiens depuis quinze ans des bontés de M. le duc d’Orléans me donnant ici (à Paris) tous les privilèges de la noblesse, parce que sa maison est royale. »

« Ce que j’ai de bon dans mes projets d’ambition, a écrit Grimm quelque part, c’est que leur mauvais succès n’altère pas ma sérénité ordinaire. » Et ce qu’il y a de sûr, pourrait-on ajouter, c’est que les déconvenues ne l’empêchaient pas de recommencer. L’ordre qu’il convoitait lui a manqué, il va se rabattre sur un titre. Il aura même l’avantage cette fois-ci de pouvoir colorer sa requête de l’intérêt de la mission dont il se chargeait. Ne fallait-il pas qu’il pût marcher de pair avec M. de Rathsamhausen, accompagner le jeune prince jusqu’au pied des trônes ? « Votre Altesse ne croira pas peut-être que j’aie trouvé en ruminant un expédient à cette affaire : c’est de me faire baroniser à Vienne. Vous rirez, madame, beaucoup de cette idée ; cela irait si bien à mon nom, à ma nigauderie et à toute mon allure… Si cela coupait court à toutes les difficultés, je n’en vaudrais pas mieux qu’aujourd’hui, et je n’en sentirais pas moins

  1. Allusion à la mission dont l’avait chargé la ville de Francfort et à la mésaventure qui avait amené sa démission en 1761.