Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est ainsi qu’il s’est résigné à ne rien dire des villes illustres qui peuplaient ce rivage ; rien de Sybaris, dont le luxe était si célèbre dans l’antiquité ; rien de Crotone, où vécut Pythagore ; rien de Métaponte, où il mourut. Il n’a fait d’exception que pour Tarante ; encore s’est-il contenté de prononcer son nom ; ce qui ne semble guère, si l’on se souvient de l’importance qu’elle avait alors et de la place qu’elle tenait dans la vie de quelques riches Romains. Tarente était devenue un des lieux de villégiature qu’ils préféraient, quoiqu’elle eût l’inconvénient d’être bien loin de Rome. Mais lorsqu’une génération de gens ennuyés est prise de la manie des voyages, qu’elle éprouve le besoin de sortir de chez elle et de quitter ses affaires pendant une partie de l’année, il est de règle qu’elle ne reste pas longtemps fidèle aux lieux où elle va chercher quelque repos ; comme tous les remèdes, ils cessent bientôt d’être efficaces et ne la guérissent plus de l’ennui. Il faut alors en chercher d’autres qui aient les agrémens de la nouveauté, et, en général, elle les choisit plus éloignés, moins abordables que les premiers, pour qu’ils lui rendent plus sensible le plaisir de changer de place. Les grands seigneurs de Rome s’étaient longtemps contentés du séjour de Tusculum ou de Véies, lorsqu’ils voulaient se délasser un moment des fatigues de la vie politique. Ils allèrent ensuite un peu plus loin, à Préneste, à Tibur, puis, quand tome l’Italie fut conquise, à Naples, à Baïes, à Cumes, à Pompéi, ce qui était déjà un voyage. A l’époque où nous sommes arrivés, Baïes semblait à beaucoup de ces dégoûtés un lieu trop couru, presque vulgaire, et pour se dépayser davantage, ils s’enfuyaient jusqu’à Tarente. Il faut reconnaître que « la molle Tarente » méritait la peine qu’on se donnait pour l’aller chercher. Horace avait bien raison de dire que rien au monde ne lui semblait préférable à ce coin de terre :


Ille terrarum mihi præter omnes
Angulus ridet.


C’était une ville de délices, faite à souhait pour être le séjour favori d’un épicurien, et qui, bercée par les flots, embaumée par l’odeur de ses jardins, achevait, depuis un siècle, de s’éteindre doucement dans l’oisiveté et le plaisir. Elle est située entre deux mers : d’un côté, le golfe qui porte son nom et qu’Enée traverse en cinglant vers la Sicile, de l’autre, un vaste lac intérieur, de 50 kilomètres de tour, qui ne communique avec le golfe que par une étroite coupure, et que cette langue de terre, sur laquelle la ville est bâtie, met à l’abri des tempêtes. Rien n’est plus intéressant, quand le temps est mauvais, que le contraste des flots irrités et des flots tranquilles. Tandis qu’en se tournant vers la haute mer, on a