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prédilection était Jean-Paul Richter, pour lequel il avait une admiration exaltée. Sa mélancolie trouvait dans cette poésie malsaine un dangereux aliment, un France, on parle beaucoup de Jean-Paul, que l’on connaît à peine. Dans son livre de l’Allemagne, Henri Heine lui consacre des pages qui mériteraient d’être citées. Il parle sévèrement de la « confusion baroque, des grotesques allures de son style, qui est si difficile à goûter. Il est impossible, ajoute-t-il, à une tête française, claire et bien ordonnée, de se faire une idée de ce style jean-paulesque. » On trouverait aisément dans l’esprit de Richter les défauts que nous reprochions à Schumann ; désordre, l’embarras dans les développemens. Du reste, Heine a raison : Richter est peu accessible aux Français. Il nous choque par le fond et par la forme, il manque de mesure et de clarté. Mais les âmes allemandes peuvent l’entendre et le coûter. Leur sentimentalité nébuleuse flotte dans cette nuit épaisse comme dans un délicieux crépuscule. Non pas que les ténèbres de Jean-Paul ne s’illuminent parfois, mais de fugitifs éclairs qui les laissent plus profondes.

Schumann resta toute sa vie sous l’influence de Richter. Plus d’une fois même il s’inspira de lui, témoin ce mélancolique épithalame, composé dans sa jeunesse pour le mariage d’un de ses frères. Nous le reproduisons d’après M. Ernouf :

« Le printemps épanche libéralement sur nous ses trésors ; ses dons sont dans toutes les mains, parent toutes les chevelures ; mais parmi ces fleurs celle du myrte est la reine aujourd’hui. Toute douleur se fond en sourires, et le génie de l’amour imprime doucement sur vos jeunes visages son baiser de l’eu. Tout ce que vous aviez jamais éprouvé de tendre et de doux dans la région juvénile des songes, tous les pressentimens les plus délicieux de l’âme deviennent soudain des réalités.

« Quand les orages de la vie viendront assaillir voire frêle esquif ; quand la douleur, sourde torture, envahira votre âme, à vous deux sachez vous suffire et gardez dans une confiante union la noble paix du cœur. Qu’incessamment un génie consolateur se penche sur vos chagrins. Qu’il vous rende purifiées, transformées en perles dans les deux, toutes les larmes que vous aurez dû verser ici-bas ! »

La correspondance de Robert pendant ses années d’études et de contrainte est également imprégnée de l’esprit de Richter. Il écrivait à l’un de ses amis en 1828 : « Si l’humanité entière lisait Jean-Paul, elle deviendrait meilleure, tout en se trouvant plus malheureuse. Pour moi, il m’a rendu presque fou. Mais toujours l’arc-en-ciel de la paix plane au-dessus des larmes, et lecteur se sent singulièrement élevé et doucement régénéré… Adieu donc, et sois heureux ! Que tous les bons génies de l’homme soient avec toi, et que celui des larmes de joie t’accompagne éternellement ! »