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aux Vazas avaient produit la plus vive exaspération dans toutes les classes de la population. Avant de conclure le traité que le commandant Dupré lui proposait au nom du gouvernement français, le roi Radama ayant voulu le soumettre à l’examen et à la discussion des principaux chefs qu’il avait convoqués près de lui à cet effet, au nombre de plus de deux cents, il y avait en presque unanimité contre l’acceptation. Le négociateur même du traité a reconnu qu’on avait dépassé la mesure, et qu’on aurait dû avoir plus de bon sens que le roi Radama, en exigeant la suppression de l’article additionnel relatif aux droits de douanes. « La défiance qu’inspirent les blancs à Madagascar, dit M. Dupré, la crainte de les voir s’emparer par leur travail et leur industrie de toutes les richesses du pays, de l’île elle-même peut-être, avaient dicté l’opposition des chefs, opposition si violente que les hommes les plus éclairés n’avaient osé la combattre[1]. » Néanmoins, le roi passa outre et signa le traité tel quel, sans se douter qu’il prononçait ainsi son arrêt de mort. A partir de ce moment, le vide se fit autour du roi, et chacun sentait instinctivement qu’une catastrophe était prochaine : huit mois après, en effet, le 12 mai 1863, le malheureux prince était étranglé dans son palais, après avoir lutté pendant trois jours pour défendre la vie de ses amis, qui furent tous, à l’exception du fils de M. Laborde, immolés par la foule ameutée contre eux.

Après cette révolution de palais, Rakoto, veuve de Radama II, fut proclamée reine de Madagascar, sous le nom de Rosoaherina. Cette princesse était la cousine de Radama, et, beaucoup plus âgée que lui, lui avait été imposée pour compagne de par la volonté toute-puissante de sa mère[2]. Les deux époux vivaient depuis plusieurs années dans la plus complète séparation, par suite d’incompatibilité d’humeur ; et c’est autour de cette princesse que s’étaient groupés les chefs du parti opposé aux mesures impolitiques par lesquelles Radama avait voulu signaler son avènement. La réaction contre les concessions et les faveurs accordées aux étrangers par ce prince prit aussitôt un caractère aigu ; un des

  1. Dupré, Trois Mois de séjour à Madagascar. Paris, 1863.
  2. Chez les Hovas, comme chez les autres peuplades malgaches qui vivaient sous le régime monarchique, ces unions consanguines étaient imposées pour ainsi dire par la raison d’état, en vue d’assurer la transmission du pouvoir aux rejetons véritablement issus du sang royal, la paternité étant toujours chose fort incertaine chez eux, par suite de leur excessive liberté de mœurs : c’est ainsi que la reine Ranavalo Ier, qui était elle-même de sang royal, fut, après la mort de ton époux Radama Ier, préférée aux frères et aux autres parens de ce prince. Chez les Sukalaves du Ménabé, la loi de succession au trône imposait aux membres de la famille royale l’obligation de ne s’allier qu’entre eux ; cette disposition était tellement absolue, qu’a défaut d’autres parens les frères devaient épouser leurs sœurs.