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L’auteur de Waverley ne représente guère autrement les tenanciers de Fergus Mac-lvor ; M. Coppée devait-il être plus timide, et affaiblir le contraste de cet aspect farouche avec la politesse d’un marquis d’Aiguilles ou seulement d’un Fingall ? Non, non, il a bien fait d’aviver courageusement cette peinture. L’excuse des spectateurs, s’il en est qui échappent ici pour un moment au prestige du poète, c’est que leur attention, vers la fin de ce tableau, est un peu lasse. Des détails de mœurs, si léger ou intense que soit le coloris de chacun ; si habile qu’en soit l’assemblage, exposés sur la scène, fatiguent bientôt la vue : rappelez-vous la conversation des jeunes seigneurs sur la place de Blois, au second acte de Manon Delorme ! N’empêche qu’il soit pimpant, animé autant que possible en ce genre, traité avec harmonie et vigueur, ce deuxième acte des Jacobites, D’ailleurs le caractère du prétendant s’y déclare, et l’action y fait un progrès ; le ressort d’où dépend l’épisode central y est tendu avec force.

Marie a entendu le complot ; elle devance, mais de quelques pas seulement, les justiciers ; elle arrive dans la maison du rendez-vous au moment où le prince l’a quittée ; elle y trouve Dora. Cette maison a-t-elle deux issues ? Non, une seule. Dora est prise au piège, et avec elle la fortune de Charles-Edouard, puisque tout à l’heure ses plus braves soldats, et à leur tête sans doute, lord Fingall, son premier lieutenant, s’estimeront déliés et déserteront sa cause. Voilà ce qu’une femme aura fait, par étourderie et caprice, tandis qu’une autre… Ah ! Marie, cette fois n’a plus à être humble et modeste ; elle voit la patrie, pour qui elle vivait, perdue ; sa conscience monte à ses lèvres ; elle dit hautement ce qu’elle est et ce qu’est sa rivale :


J’ai toujours, ayant eu les fossés pour berceaux,
Vu le ciel traversé par les libres oiseaux
Et rêvé du pays esclave qu’on délivre ;
Conduisant mon aïeul, par la pluie ou le givre,
Je chantais les vieux airs qui sont repris en chœur
Et font monter le sang de la révolte au cœur ;
Partout où je passais, le soir, à la veillée,
La race des Stuarts était moins oubliée.
Enfin, le Prince vint, à notre espoir pareil,
Par la mer, du côté du lever du soleil ;
Son baiser sur mon front à lui m’a consacrée,
Pour rendre sa victoire encor plus assurée,
J’ai choisi le rôle humble et dangereux, j’ai pris
La fonction pour qui l’on n’a que du mépris.
La pauvre mendiante à qui nul ne prend garde,
Va chez ses ennemis, espionne et regarde,
Et comme une servante, une lampe à la main,
Eclaire devant lui ton glorieux chemin.


Voilà ce qu’elle a fait, tandis que la frivole Dora jouait la comédie de la guerre et de l’amour. Et cependant, pour sauver le prince, Marie veut