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le vieil Aceste, et qui contient la tombe d’Anchise. Il va justement y avoir une année qu’Anchise est mort ; et, puisque l’occasion se présente de célébrer cet anniversaire, il convient d’en profiter.

Voilà donc la flotte troyenne revenue au port de Drepanum. Cette partie de la Sicile où Enée s’arrête n’a pas eu tout à fait les mêmes destinées que le reste de l’île. Elle échappa de bonne heure à la domination grecque et fut occupée par les Carthaginois, qui, pendant plus de deux siècles, en furent les maîtres. Il est clair que ce long séjour des Sémites doit avoir exercé quelque influence sur les anciens habitans, quoiqu’il soit aujourd’hui difficile de l’apprécier ; Après les premières résistances, les Grecs de ce pays durent finir par s’entendre avec les conquérans ; malgré les différences de mœurs et de races, on s’arrangea pour vivre ensemble, comme firent, au moyen âge, les Siciliens et les Arabes. Une tessère conservée au musée de Palerme représente d’un côté deux mains serrées ensemble et contient de l’autre une inscription qui nous apprend « qu’Imilcon Hannibal, fils d’Imilcon, a fait un pacte d’hospitalité avec Lison, fils de Diognète et ses descendans. » Les contrats de ce genre ne devaient pas être rares entre les deux peuples. Il est vraisemblable aussi que les vainqueurs, quoique leur esprit ne fut pas tourné de ce côté, ne résistèrent pas entièrement à la séduction de l’art grec. Quand ils prirent Ségeste, ils enlevèrent une statue de Diane en bronze, qui passait pour un chef-d’œuvre. « Transportée en Afrique, dit Cicéron, la déesse ne fit que changer d’autels et d’adorateurs. Ses honneurs la suivirent dans ce nouveau séjour et son incomparable beauté lui fit retrouver chez un peuple ennemi le culte qu’elle recevait à Ségeste. » Carthage dominait sur toute la partie occidentale de la Sicile ; mais, pour ne pas s’affaiblir en disséminant ses forces, elle s’était fortement établie dans trois villes importantes : à Lilybée (Marsala), à Drepanum (Trapani) et à Panonnos (Palerme). C’est au-dessus de Drepanum, au centre de la côte occupée par les Carthaginois, que s’élevait l’Eryx (aujourd’hui monte San-Juliano), dont ils avaient fait une de leurs principales citadelles. Il faut d’abord le parcourir et le décrire, car toute l’action du cinquième livre de Virgile vase passer autour de cette montagne.

La réputation du mont Eryx était très grande dans l’antiquité. Quoiqu’il ne s’élève pas tout à fait de 8,000 mètres au-dessus de la mer et qu’il y ait en Sicile plus d’un pic, sans compter l’Etna, qui le dépasse de beaucoup, il est d’une si belle forme, si régulièrement découpé et si bien posé, il se montre de tous les côtés avec tant d’avantages, que son nom revient de lui-même à Virgile, quand il veut nous donner l’idée d’une haute montagne : Quantus Athos, aut quantus Eryx ! L’accès aujourd’hui en est facile ; une