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dignité et parfois vraiment classiques : ce sont des tableaux vivans copiés sur au vase étrusque ou un marbre du Parthénon. Dans ces momens, les maliès éclatent de toutes parts.

Les nobles danseuses portaient la chemise réglementaire qui descend à mi-jambe et par-dessus, leur ancien costume : un morceau de calicot aux couleurs criardes autour de la taille, et, attachés à la ceinture et autour du cou, des festons de fleurs, de feuilles, de fibres de racine. Leurs cheveux ruisselans d’huile de coco étaient arrangés avec un soin particulier et ornés de grosses fleurs jaunes et rouges. Une femme d’un certain âge, placée au milieu de la ligne, attirait mon attention par sa haute taille, par l’exubérance de ses formes, par son air imposant et par l’expression agréable et spirituelle de sa physionomie. C’était la princesse Andiquilla, la fille, la confidente et la conseillère du défunt roi Takumbau. J’apprends que c’est une femme politique, qui a de l’esprit, du bon sens et qui est fort populaire parmi les Fijiens. Quelques autres femmes, jeunes celles-là, se faisaient remarquer par l’élégance de leurs mouvemens. N’eussent été les nez larges et épatés et les lèvres charnues, je dirais que c’étaient de fort jolies personnes.

La danse finie, toutes ces dames se dépouillèrent de leurs fleurs et de leurs jupons, les jetèrent par terre et se retirèrent. Un maître de cérémonies, qui avait la barbe blanche et un air vénérable, se leva pour annoncer aux hommes toujours accroupis sur le gazon que les dames offraient ces cadeaux aux nobles hôtes du roko, réunis à cette fête. Ceux-ci répondirent par un cri rauque. C’est leur manière de remercier.

Vint le tour des hommes. Une cinquantaine de jeunes gens s’élancèrent sur la scène. Les uns formaient un groupe compact que les autres entouraient d’un cercle mouvant. Tous chantaient, poussaient des cris, gesticulaient, avec véhémence. Chaque ronde finissait par des battemens de mains, une génuflexion et cette miraculeuse contorsion du dos qui ferait l’envie des clowns de nos cirques.

La fête se termina par un repas sur l’herbe, fourni par le roko de Mbao. Des poissons frits, des patates sucrées (yams) furent servis dans des paniers ou sur de grandes feuilles de taro.

Le chef de la mission, le révérend Langham, offrit de nous introduire chez la princesse Andiquilla, Nous traversâmes la capitale tantôt en suivant des sentiers étroits, tantôt en passant d’enclos en enclos à l’aide de marches grossières pratiquées dans les haies. Au centre de chaque enceinte, qui sert de pâturage à quelques cochons, se trouve la cabane. La lourde toiture en chaume recouverte de feuilles sèches repose sur des chevrons qui s’appuient, au centre, sur deux ou trois gros troncs d’arbres équarris et, à la circonférence, sur des poteaux dont les interstices sont remplis par un tissu