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villa d’été, aucun de ces asiles construits dans les montagnes et semblables aux hill-stations de l’Inde, qui permette aux personnages officiels, ou du moins à leur famille, de se soustraire, pendant les fortes chaleurs, à l’action délétère du climat des tropiques. Restent donc les deux villes. On va de Suva à Levuka, de Levuka à Suva. On fait comme le malade qui se retourne sur son lit de douleur. C’est une illusion, on le sait ; mais c’est toujours un changement, un mouvement, et tout vaut mieux que l’immobilité.

J’admire ces fonctionnaires, et je me demande comment il est possible d’en trouver. Ce ne sont pas de pauvres héros qui, pour gagner leur vie, ou parce que d’autres carrières leur sont fermées, recherchent, faute de mieux, et obtiennent ces postes dont d’autres n’auraient pas voulu. Presque tous ces hommes, chefs et sous-ordres, appartiennent aux couches supérieures de la société. Et cependant, par horreur du désoeuvrement, par désir de servir leur pays, poussés aussi par cet esprit d’aventure propre à la race anglo-saxonne, ils s’expatrient pour passer dans des îles perdues au milieu du Pacifique[1] et habitées par des sauvages, une longue série d’années, peut-être la plus belle partie de leur vie.


Le père Bréhéret, de la congrégation mariste, préfet apostolique dans l’archipel de Fiji, Vendéen de naissance, exerce ici son ministère depuis quarante ans. Il n’a jamais revu l’Europe. C’est le type de l’ascète. Ses vénérables traits respirent la douceur et la charité. Ses vêtemens, comme la petite église, le presbytère et l’école, portent l’empreinte de la pauvreté apostolique. Un missionnaire wesleyen m’a dit : « C’est un saint, » Ce témoignage est confirmé par le jugement unanime de la population blanche.

Le révérend Webb, missionnaire méthodiste, a bien voulu me conduire à son habitation, située sur une des hauteurs qui sont derrière la ville, la raide escalier y mène ; mais, une fois arrivé, on est amplement dédommagé de la fatigue, qui, d’ailleurs, n’est pas excessive : une vue superbe sur la lagune et la mer, quelques beaux arbres près de la maison, protégée par une vérandah, et où l’on trouve de la brise, de l’ombre et des fauteuils. Dans l’appartement, pas de luxe, mais un modeste confort. Mrs Webb nous y reçoit, entourée de ses enfans, bien savonnés, bien frais, bien élevés. Des indigènes, chrétiens et catéchumènes, vont et viennent et sont reçus par le missionnaire dans son cabinet, tout, rempli

  1. Depuis quelques mois, un service mensuel régulier a été organisé entre Suva, la Nouvelle-Calédonie, Aukland et Sydney, au moyen de vapeurs qui transportent la malle et des passagers. C’est un vrai bienfait pour les résidens européens de cet archipel.