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et haut commissaire pour les îles du Pacifique occidental[1]. Il a trouvé pour réaliser ses projets des auxiliaires de mérite et, notamment dans la personne de M. Thurston, un collaborateur d’une très grande valeur. C’est, sans aucun doute, à ce fonctionnaire qu’il doit des informations précieuses sur les conditions morales, politiques et sociales où se trouvaient, à son arrivée, les populations de la nouvelle colonie. Grâce à ces renseignemens, il a pu concevoir le plan qu’il a inauguré.

Sir Arthur n’est pas ce qu’on appelle un homme populaire. La main de fer comporte mal le gant de velours, et, d’ailleurs, chacun de nous a les défauts de ses qualités. J’insiste sur ce point, parce que j’entends émettre sur son activité des jugemens téméraires, peu bienveillans, souvent même absolument injustes. Mais l’homme d’état, rompu aux luttes avec les passions éphémères, reste impassible en présence de semblables attaques. Ce n’est pas au présent qu’il demande une appréciation impartiale de ses actes. La presse, cette grande puissance, il le sait bien, fait l’opinion du jour. L’histoire fait l’opinion des siècles. Le journaliste écrit sur des feuilles de papier que la brise du lendemain enlèvera. L’histoire grave ses verdicts sur l’airain et sur le marbre.

Le problème à résoudre était, je le répète, unique dans son genre. Il s’agissait de diriger dans une certaine mesure, de protéger contre les indigènes et contre eux-mêmes, les membres européens de la colonie naissante, composée, alors encore, des éléments qu’on sait ; et, de l’autre côté, de sauvegarder les intérêts des aborigènes, de mettre fin aux actes de violence commis par des blancs, et aussi aux guerres perpétuelles entre tribus sauvages à peine arrachées à la barbarie ; car, n’en déplaise à leurs amis enthousiastes, des anthropophages de la veille, sinon du jour, sont des barbares. La paix établie, il fallait la consolider. Il fallait dompter la bête fauve, et comme les moyens mis à la disposition du gouverneur par la métropole, — qui n’est plus une bonne mère nourricière, mais la gardienne jalouse des deniers publics, — comme ces moyens étaient fort limités, il fallut se décharger sur ces catéchumènes de la civilisation d’une partie de l’administration ; et, on ne pouvait y parvenir qu’en conservant autant que possible, au lieu de faire table rase, l’ancienne constitution, c’est-à-dire les us et coutumes, les notions et les traditions indigènes. Sir Arthur n’avait sous la main ni bureaucratie anglaise, ni gros bataillons, ni grosses pièces. Il fallait gouverner avec des élémens indigènes auxquels furent adjoints quelques magistrats anglais. Ces élémens indigènes ne pouvaient être que les chefs dont chacun était le maître

  1. Aujourd’hui gouverneur de Ceylan.