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au-dessus de notre misère et par-delà le fini. Mais comment auraient-us pu faire âme neuve du jour au lendemain et opérer en eux la transformation qui eut été nécessaire pour qu’ils devinssent de vrais chrétiens ? Ce n’est pas encore le moment de dire quelle sorte de christianisme fut pratiquée par les Mérovingiens, et il suffit de marquer ici qu’après avoir obéi à saint Rémi en brûlant ce qu’ils avaient adoré, les Francs ne surent point adorer dans l’intimité d’une conscience régénérée et qu’ils avaient brûlé. Ils perdirent l’imparfaite discipline de la religion ancienne et ne supportèrent point les règles que la religion nouvelle leur voulait imposer. Ils furent dans la maison de Dieu des étrangers bruyans et violens ; ils n’en prirent à grand’peine que les habitudes extérieures. Ici encore nous rencontrons donc l’opposition que nous avons déjà marquée entre les Germains et d’autres grands peuples. Chez les Grecs, les Juifs, les Arabes, le développement religieux a été naturel et continu. En Gaule, une série de transitions a mené les habitans du druidisme au culte romain, puis à l’organisation ecclésiastique chrétienne. Rien de pareil chez les Francs. Ils ont su s’accommoder avec l’église et tirer grand profit de cette entente, mais ils n’ont pas connu, au temps mérovingien, l’alliance intime de la religion et de la politique qui a fait la force du peuple ne Dieu, de la cité antique et des premiers califes.

Bref, les francs sont peu nombreux et leur empire est vaste. Si peu nombreux qu’ils soient, ils sont divisés : le peuple est d’un côté ; les chefs et les rois sont de l’autre. Ils ont perdu en partie leurs mœurs anciennes ; ils ne sont plus des païens et ne sont pas des chrétiens. Rien d’essentiel ne les distingue des populations de leur empire. Ils n’ont ni cet orgueil de conquérans, ni cet orgueil de caste qui sont de grandes forces. Ils ne sentent le besoin ni de s’organiser pour la résistance, ni de se plier à des circonstances nouvelles et de chercher de nouveaux moyens de gouvernement. Ils ont cette bonne fortune très dangereuse de ne rencontrer et de ne provoquer aucune résistance sérieuse. Si l’expérience qu’ils ont à faire est difficile, rien ne les en avertît. Ils peuvent vivre au hasard et au jour le jour, et ils vivent ainsi. Jamais peuple n’a été exposé à tant et de si grands dangers.


II.

Le premier de ces dangers était la dépravation des mœurs. Francs et Romains confondus se livrent à tous les vices avec une fougue extraordinaire. Ils sont cupides, menteurs, assassins et débauchés. On ne saurait déterminer avec exactitude à quoi, de la barbarie franque ou de la civilisation romaine, il faut attribuer la plus grande part dans la corruption universelle. Pourtant c’est un problème qui a tenté