Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/810

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire la guerre aux Goths, s’arrête dans un château, et, près de l’hôtesse, oublie son père et la guerre des Goths et sa fiancée des bords du Rhin. Brunehaut, qui était presque une Romaine, a troublé bien des têtes. Mais les Mérovingiens ne s’adressent pas si haut d’ordinaire ; ils prennent leurs femmes à la cuisine ou dans les ateliers de la maison : Frédégonde n’est que la plus illustre de ces servantes maîtresses. Ils en prennent plusieurs à la fois, au gré de leur caprice, sans craindre de mettre deux sœurs dans le même lit, comme fit Caribert, qui fut excommunié parce qu’une des deux sœurs était religieuse, et qui, d’ailleurs, ne s’inquiéta pas de l’excommunication. La polygamie est tolérée chez eux ; Grégoire de Tours parle tranquillement « d’une des reines de Caribert. » La violente passion pour les femmes se transmet de père en fils, croissant toujours. Clotaire II « est instruit, pieux, généreux envers les églises, mais il est trop grand chasseur et il obéit trop aux suggestions des femmes et des filles. » Le fils de Clotaire, Dagobert, « a trois reines, et, de plus, ad instar Salomonis, des concubines que l’on ne peut dénombrer. » Le fils de Dagobert, Clovis II, « est adonné à tous les vices honteux : fornicateur, trompeur de femmes, ivrogne et goulu. » Ces débordemens commencent avec la puberté ; ils ruinent la race royale, qui finit par ne plus produire que des énervés.

La perfidie de ces princes, qui cherchent perpétuellement à se tromper et à se voler les uns les autres, est une des causes de ces guerres civiles qui ont contribué pour une si grande part à détruire l’état mérovingien. L’assassinat, qui est le moyen habituel de la politique des rois, décime la famille. Il est entré dans les mœurs au point de ne surprendre personne. Clovis assassine les petits rois du Nord et de l’Est : le peuple célèbre ces meurtres par des chants dont la poésie se reconnaît dans la narration de Grégoire de Tours. Quand Childebert et Clotaire veulent déposséder ou tuer les enfans de leur frère Clodomir, ils envoient demander à leur mère Clotilde si elle veut voir ses petits-enfans morts ou cloîtrés : elle choisit la mort. Elle aimait ces enfans, et quand les deux rois eurent accompli le crime avec un sang-froid de bouchers, elle fit reprendre les petits corps, qui furent portés à l’église au milieu des larmes et des sanglots, mais elle n’a pas maudit les assassins et ne semble pas leur avoir gardé rancune : Childebert et Clotaire avaient fait de la politique. De même on se pardonne entre frères une tentative de fratricide. Thierry, qui avait demandé un service à son frère Clotaire, voulut s’acquitter envers lui en le tuant. Il le manda dans sa tente sous prétexte de le consulter en secret sur quelque affaire ; mais Clotaire aperçut des pieds qui passaient sous une draperie suspendue à la muraille et il fit signe à ceux qui l’accompagnaient