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je crois faire mes affaires, et si je fais par-dessus le marché de la philanthropie, c’est comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir. » Le mot est spirituel et, en tout cas, de bonne grâce ; mais est-il bien exact ? Pour qu’en affaires l’assertion fût fondée, il faudrait arriver à prouver que dans tous les établissemens qui pratiquent la participation aux bénéfices le supplément de travail obtenu des ouvriers compense et au-delà le sacrifice annuel consenti par le patron. En est-il toujours ainsi ? Dans certaines industries spéciales où la main-d’œuvre a une part prépondérante et peut réaliser d’importantes économies sur les matières premières, la chose est possible. Encore faudrait-il l’établir par des chiffres. Mais dans les autres, qui pourrait le prétendre ? Ce ne seraient assurément pas ces patrons qui en assez grand nombre ont commencé par constituer une dotation qui de 50, qui de 100, qui de 200,000 francs au profit de la caisse de participation, de façon à ce que cette caisse ne se trouvât jamais à sec, ni ceux-là en non moins grand nombre qui ont distribué de soi-disant bénéfices à leurs ouvriers dans les années mauvaises, alors qu’ils n’en réalisaient pas du tout. Ceux-là, lorsqu’on les presse, confirment ce qu’a répondu nettement l’un d’entre eux devant la commission d’enquête : « La participation aux bénéfices est une libéralité absolument. » C’est là le vrai mot, et si ceux qui la pratiquent se refusent parfois à le dire, ceux qui en parlent ne doivent pas hésiter à l’affirmer.

Pourquoi insisté-je ainsi sur ce caractère de libéralité qui constitue à mes yeux l’essence de la participation aux bénéfices ? Est-ce, encore une fois, par un vain amour des distinctions théoriques et des subtilités juridiques ? Non ; c’est parce qu’en méconnaissant ce caractère, on compromet les bons résultats de la participation et l’on met son avenir en péril. Le système de la participation aux bénéfices court aujourd’hui, en effet, un grand danger ; il est devenu le candidat officiel du gouvernement et il est menacé de ses faveurs. De vastes projets s’agitent, du moins s’agitaient naguère dans les conseils administratifs. Il ne s’agissait de rien moins que d’imposer ce système à tous les entrepreneurs qui travaillent pour le compte de l’état ou de la ville de Paris, et d’en faire une clause du cahier des charges qui leur serait imposée. Or si ces idées triomphent, si ce système est mis en pratique, je n’hésite pas à dire qu’il conduira à un échec retentissant et que cet échec marquera la fin de la juste faveur qui s’attache aujourd’hui à la participation aux bénéfices. Je laisse de côté les difficultés matérielles de toute sorte qui s’opposeront à l’organisation même du système avec un personnel changeant, comme celui dont se servent les entrepreneurs de travaux publics, personnel qui varie plusieurs fois au cours d’une entreprise et dont on retrouvera difficilement la trace. Je vais droit au côté