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enfin M. Spencer lui-même, si les actionnaires de telle mine de houille « avaient su que certains fossiles appartiennent à la couche de granit rouge, au-dessous de laquelle le charbon de terre ne se trouve plus, » il n’en résulte nullement qu’ils eussent échappé à la ruine. Il est sans doute inutile de multiplier les exemples. Mais, quelle que puisse être l’utilité réelle de ces connaissances plus ou moins positives, ce qu’il convient d’ajouter, c’est qu’entre dix et vingt ans, nous ne les amassons guère que pour les oublier, a moins d’en faire profession, quel est celui d’entre nous, demande M. Frary, qui conserve de ses classiques, de son latin et de son grec, un autre souvenir que celui des ennuis qu’ils lui ont coûtés et des pensums qu’ils lui ont valus ? Et moi, je le lui demande à mon tour, et de sa « physique, » ou de son « histoire, » et de sa « géographie, » quel est celui qui garde un souvenir meilleur ou plus précis ? Pas plus que le corps ne s’assimile tout ce que contiennent d’élémens nutritifs les alimens qu’il ingère, ou même les rejette, et s’en trouve mal quand il y en a trop, c’est ainsi qu’on ne gagne rien à surcharger l’esprit, avant le temps, d’une nourriture qu’il ne peut digérer. L’éducation de l’enfance et de la première jeunesse n’a pas, ne doit pas avoir, ne peut pas avoir, en fait, d’autre objet qu’elle-même. Il ne s’agit que d’aider et de favoriser le développement normal, complet, harmonieux d’un ensemble de facultés dont la vie se chargera de rompre assez tôt l’équilibre. On prépare le terrain, on y sèmera plus tard, quand le temps sera venu de l’instruction professionnelle. Et ce temps-là même, pour toute sorte de raisons, je souhaiterais vivement qu’au lieu de l’avancer, comme on y tâche, on se préoccupât au contraire de le reculer. Avec toutes leurs écoles d’état, sans parler de bien d’autres nécessités sociales, les Français, en général, se spécialisent prématurément.

Dira-t-on qu’en ces conditions, la première éducation devant être purement formelle, il importe assez peu de quels moyens on se serve, pourvu qu’on atteigne le but ? la présomption, en ce cas même, serait déjà considérable en faveur du latin ; car, à quoi bon changer, ou modifier seulement des habitudes héréditaires d’esprit, si celles qui les remplaceront ne sauraient au total produire d’autres ni de meilleurs effets ? Mais on pense bien qu’il y a mieux à répondre, et que vingt autres raisons, au besoin, confirmeraient le latin dans les droits qu’il tient de la coutume et de la tradition. Quelques-uns des contradicteurs de M. Frary ont cru pouvoir se passer de donner aucune de ces raisons. Je ferais sourire M. Frary lui-même, disait M. Bréal, il y a quelques jours, si je m’avisais de défendre contre lui les études latines ; et, en effet, nous ne doutons pas que les membres de l’institut, les professeurs du Collège de France,