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décidément opter, je serais fort capable de préférer Bossuet à Cicéron, Saint-Simon à Tacite, peut-être les Épitres de Voltaire aux Satires d’Horace, Lamartine à Properce, et Musset à Tibulle. On a pu dire d’Homère qu’il sommeillait quelque fois, on peut sans doute aussi le dire de Virgile, et surtout de Lucrèce. On ne saurait contester qu’il y ait bien de la pompe oratoire dans Tite Live, des lenteurs et des longueurs, ou encore bien de l’affectation et de la manière dans Salluste. Il vaut mieux ne pas rechercher ce qui manque à Lucain, à Sénèque, à Pline. Les Grecs, à ne considérer que la perfection de la forme et l’originalité du fond, seraient en apparence de bien meilleurs instituteurs du goût, plus purs, plus sûrs, plus difficiles à égaler, peut-être aussi moins dangereux à suivre. Le fait est pourtant qu’il n’en est rien, et M. Frary se presse trop de conclure. Il ne voit pas, pour lui, ce que les Latins ont de si propre à former l’esprit de la jeunesse, et, ne le voyant pas, il le nie ; supposé, pour ma part, que je ne le visse pas davantage, je l’admettrais tout de même. Je ne pourrais en effet le nier qu’en commençant par nier d’abord la renaissance elle-même. C’est la fréquentation et la familiarité des classiques latins qui a jadis émancipé l’esprit moderne de sa longue minorité. Ce sont les humanistes qui ont rompu le cercle où la scolastique avait six cents ans enfermé la pensée européenne. C’est ce que l’on a si justement appelé la latinisation générale de la culture qui a renouvelé l’histoire de l’Occident. Mais depuis lors, c’est à la source de l’antiquité que la pensée moderne est constamment retournée rajeunir son inspiration. Toutes les fois qu’elle a paru dévier de sa route, il a presque suffi, pour l’y ranimer, de la rappeler au respect de l’antiquité. Et je ne sais enfin si l’on ne pourrait prétendre que les esprits les plus originaux ont presque toujours été, depuis quatre ou cinq siècles tantôt, les plus familiers avec l’antiquité.

Faut-il essayer d’en dire les raisons ? Si l’éducation se propose d’abord de former des esprits sains, justes et droits, nulle discipline, pas même celle des mathématiques, ne vaut pour cet usage l’école des classiques latins, lisent leurs défauts, et nous les connaissons, mais ils n’ont pas celui de vouloir briller aux dépens du bon sens ; et peut-être ont-ils l’esprit court, mais, en revanche, ils l’ont lucide, ferme et modéré. Pour développer une idée, la suivre dans ses conséquences, la décomposer en ses parties, et, quand il faut la recomposer, n’y rien mêler qui lui soit, étranger, ils sont sans rivaux, même parmi les anciens. C’est que la raison domine en eux sur l’imagination, la tient en bride, ne lui permet que de rares et inoffensifs écarts. Aussi se sent-on avec eux en confiance