Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/880

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’éducation de la jeunesse. A cet avantage, des éducateurs plus sévères en pourraient joindre un autre, qui ne laisse pas d’avoir son prix. Si les Latins sont grossiers, souvent obscènes, indélicats en plaisanteries, c’est en latin d’abord ; et puis, il est facile de les « expurger, » parce qu’en effet, dans leur littérature, la femme n’occupe qu’une petite place. Il est évidemment moins facile « d’expurger’ Bajazet ou l’École des femmes, les romans de Prévost et ceux de Marivaux. Dans la plupart de nos littératures, tout ce qui n’est pas prédication, controverse ou histoire de parti roule à peu près uniquement sur les passions de L’amour ; et, sans nulle pruderie, il est permis de croire que d’autres sujets conviennent mieux à l’éducation de la jeunesse.

Parlerai-je maintenant de leurs qualités littéraires ? Dirai-je qu’ils sentent moins l’effort, et que, dans un monde plus étroit, ils se meuvent plus librement, avec plus d’aisance dans la force et plus de facilité dans la grâce ? que leurs facultés se maintiennent habituellement dans un état d’équilibre plus stable, et que leurs œuvres en sont mieux pondérées ? que dans une civilisation moins complexe et, en ce sens, moins artificielle, ils ont vécu plus près de la nature, d’une vie moins étendue, mais plus harmonieuse et, à ce titre, plus complète ? ou bien encore, qu’ayant placé moins haut leur idéal, et pour cette raison l’ayant presque toujours atteint, ils demeurent éternellement les témoins, les modèles et les maîtres de toutes les qualités qui s’apprennent comme de ions les défauts qui s’évitent ? Mais quand je ne le dirais pas, ou quand on leur disputerait ces qualités une à une, l’histoire serait toujours là. L’histoire et les services rendus, qui nous obligeraient à reconnaître en eux une vertu qui ne se trouve qu’en eux. Même chez, les Grecs, en effet, on l’y chercherait vainement. C’est le secret, pour le dire en passant, de la préférence éminente que les éducateurs modernes ont toujours aux Latins sur les Grecs. Pour savoir le grec aussi bien ou beaucoup mieux que nous ne savons le latin, il est possible qu’il suffit d’y donner la moitié moins de temps, en raison de sa conformité plus grande, selon le mot d’Henri Estienne, avec notre vulgaire français. Mais ce ne serait pas la même chose, et ni le profit général n’en serait aussi certain, ni l’utilité pratique aussi réelle. Qui donc a dit des Grecs, et à bon droit, qu’ils n’avaient pas véritablement connu l’homme, mais seulement le Grec et le barbare ? J’oserais ajouter que, dans leurs petites cités fermées, et avec leur émulation d’enchérir les uns sur les autres, les Grecs sont de bonne heure devenus des virtuoses en leur propre langue : — je ne veux pas dire des sophistes.

On peut tirer de là des conséquences, et celle-ci entre autres : que