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plus arbitraire que de vouloir assigner un effet déterminé à une cause déterminée, parce qu’au fond il n’en est pas un qui ne soit le produit, ou la rencontre, si je puis ainsi dire, d’une infinité de causes. En veut-on voir un exemple ? Si le latin, dit M. Frary, n’était pas l’unique base de notre enseignement secondaire, il y aurait moins de bacheliers, et s’il y avait moins de bacheliers, il y aurait moins de fonctionnaires d’une part, et moins de déclassés de l’autre. Je n’en sais rien du tout, ni moi, ni M. Frary, ni personne. Quel que soit le programme des examens qu’il convienne à l’Etat de placer à l’entrée des carrières publiques, il y aura toujours en France plus de concurrens que de places : mais dans l’examen du baccalauréat si l’on substitue le bas breton ou le madécasse au latin, pourquoi veut-on que le nombre des bacheliers en soit diminué ? M. Frary, dans son livre, commet perpétuellement le sophisme que l’école appelle casus pro non causa ; et, comme aucun de ses mérites réels n’a contribué davantage à faire le succès de sa Question du latin, il n’était pas superflu de noter que c’en est le principal défaut. Après cela, c’est aussi bien ce qui nous dispense d’insister davantage. De tous les raisonnemens par où M. Frary s’efforce de lier à la suppression du latin nombre de conséquences qui n’ont que des rapports extrêmement éloignés avec elle, il n’en est heureusement pas un qui ne pèche gravement en quelque endroit. L’incorrection de ses déductions en tempère à tout coup la hardiesse.

Au fond et en réalité, ce que l’on attaque dans l’enseignement secondaire classique, — je veux bien le dire à M. Frary, — ce qu’il y attaque lui-même, sans le vouloir ou sans le voir, ce n’est ni ceci, ni cela, mais essentiellement ce que cet enseignement, tel qu’il est, a, dans sa nature et dans sa constitution, de nécessairement aristocratique. C’est une supériorité que de savoir le latin ou de l’avoir appris, si peu d’ailleurs que l’on en retienne, une supériorité certaine, pour toutes les raisons que nous avons dites, et une supériorité d’autant plus importune qu’elle se fait sentir sans qu’on le veuille. On peut relever à ce sujet, dans le livre de M. Frary, quelques phrases tristement instructives : « Il est temps de précipiter les inutiles du sommet où la révolution française les a laissés, mais où l’évolution économique du XIXe siècle doit enfin les atteindre… A-t-on le droit d’employer l’argent des contribuables laborieux à faire des parasites et des déclassés ? .. N’est-ce pas une injustice envers le commerce et l’industrie que d’écrémer la jeunesse au profit du barreau et de la bureaucratie ? .. Nous avons, par nos lois comme par nos mœurs, maintenu la fausse hiérarchie de l’ancien régime… Il est temps de remettre les gens à leur place, de