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nuance de mysticisme qui nous surprend un peu, mais qui ne répugne peut-être pas au caractère de l’époque.

Développant les côtes épisodiques de la tragédie, les librettistes en ont un peu amoindri la passion maîtresse : l’amour de Rodrigue et de Chimène. Cet amour ne passe pas dans l’opéra par d’aussi fréquentes alternatives que dans le drame. Cependant ce partage, ce déchirement de l’âme de Chimène faisait pour le musicien la grande originalité du sujet, et sa grande difficulté. Tout livret pouvait offrir à M. Massenet des chœurs de soldats et des ballets espagnols, des chansons de bravoure et des carillons de fête ; mais nul autre que le Cid ne lui donnait un duo d’amour entre une jeune fille et le meurtrier de son père. Qu’une telle situation fût traitée de main de maître, et le grand duo des Huguenots trouvait son égal.

L’amour de Chimène ! Ne serait-ce pas là cette raison du cœur, que nous cherchions ? Ne serait-ce pas cet amour, plus noble, plus dramatique que les amours par lui déjà chantés, qui tenta M. Massenet, et lui promit, s’il le chantait à son tour, des inspirations plus hautes et de plus purs accens ? M. Massenet a peut-être composé le Cid pour Chimène, un peu comme M. Gounod a composé Faust pour Marguerite.

Venons à l’examen détaillé de l’ouvrage.

Devant le roi et devant Chimène, sous le porche de l’église, au clair soleil d’un jour de fête, Rodrigue parait, et déjà sa première apparition est moins héroïque qu’élégante. Tout jeune, sa jeunesse et sa grâce se révèlent jusque dans le murmure de la foule. On l’accueille comme un bel adolescent, presque comme une jeune fille. Cette couleur juvénile ne messied pas au personnage ; elle sied surtout au musicien, qui l’a cherchée dans toute sa partition. Il la retrouve un peu plus loin, et très heureusement. Après le premier couplet du chant de l’Épée, qui nous parait un peu vulgaire, Rodrigue murmure une prière aussi douce, presque aussi timide qu’une prière d’enfant. A saint Jacques de Compostelle j’ai voué ma foi ! Puis, de l’image sainte, ses yeux s’abaissent sur Chimène. Une modulation lumineuse fait de la prière une extase. Au dessus des violoncelles qui soupirent, passe un chant délicieux, à peine un premier frisson d’amour. Voilà bien l’orchestre de M. Massenet, avec les séductions et les caresses accoutumées. Cette phrase charmante, écrite dans un ton velouté, sera le motif, ou mieux, la devise de Chimène. Elle reparait, tout aérienne cette fois, à la fin de l’acte, quand la jeune fille rentre dans le palais. L’effet est joli, un peu trop joli peut-être ; il n’est exempt ni de toute recherche, ni de toute mièvrerie. Mais l’idée est si gracieuse, les timbres de l’orchestre, flûtes et harpes, sont d’un si pur cristal, qu’on pardonne ici à M. Massenet un peu de raffinement et d’artifice.

Mainte page de ce premier acte, par exemple le duo de Gormas et