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sentiment de jalousie, son frère cadet appelé, par la préférence de leur oncle, à hériter du trône.

En 1848-1849, les deux princes âgés de quinze ans et de dix-sept ans, avaient fait un voyage en Europe. Ils avaient successivement visité les États-Unis, l’Angleterre et la France. Ce voyage laissa dans leur esprit des impressions très vives et très différentes de celles qu’en attendait le docteur Judd, chargé de les accompagner, aux États-Unis, ils furent blessés par les préjugés de couleur et le peu de distinction que l’on y semblait faire entre la race cuivrée et la race noire. En Angleterre, ils reçurent au contraire un excellent accueil ; la cour et l’aristocratie leur firent fête. En France, les préoccupations politiques dominaient tout ; aussi revinrent-ils très imbus des idées anglaises et grands admirateurs d’un système politique dont la stabilité ressortait encore à leurs yeux par le contraste de la France révolutionnaire et des États-Unis républicains.

Élevée auprès des deux jeunes princes et de leur sœur, la princesse Victoria. Emma avait pris part à leurs études et à leurs jeux. Née en 1836, elle était de deux ans plus jeune que le roi. De taille moyenne et bien prise, elle avait le front haut, les traits réguliers, les yeux beaux, beaucoup de race et de charme dans les manières. Sa Physionomie respirait la douceur et la bonté. Bonne musicienne, éprise des choses de l’intelligence, elle était très au courant de la littérature anglaise. De goûts sérieux et d’esprit réfléchi, elle aimait s’occuper d’œuvres de charité et de questions religieuses. Ses qualités, autant que son rang, la désignaient au choix du nouveau souverain, épris d’elle depuis son enfance.


II

Leur mariage fut célébré le 19 juin 1856. La popularité du roi, l’estime et l’affection dont la jeune reine était l’objet, donnèrent aux fêtes officielles le caractère de réjouissances nationales. On espérait que Kaméhaméha IV, uni à la femme de son choix, à la compagne de son enfance, renoncerait aux amours faciles et à des excès de nature à compromettre sa santé. On augurait favorablement de l’influence qu’Emma devait exercer sur cette nature brillante, mais faible, si facilement dominée par son entourage immédiat. Aussi, dès le début, la reine s’occupa-t-elle d’introduire dans le palais des habitudes d’ordre et d’étiquette, de réformer et de monter leur maison, d’ouvrir ses salons, d’attirer autour du roi et d’elle une société agréable et de l’y retenir par le charme de son accueil. Très épris