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comme aussi probable que celui de Rodrigue et de Chimène ; s’il eut ensuite le courage mélancolique d’en sacrifier l’annonce, il ne faut accuser de ce changement que l’inquiétude de quelques donneurs d’avis : ces gens timides lui firent craindre que trop de spectateurs, ayant payé leur place pour être satisfaits, ne vissent avec déplaisir l’âge mûr de certain comédien et sa corpulence, quel que fût son talent, s’unir aux sveltes appas de sa jeune camarade. N’importe : l’ouvrage demeure tout orienté vers cette fin. Ce n’est pas inutilement que, dès le début, un médecin ordonne le mariage à ce prétendant de réserve ; ce n’est pas pour rien que lui-même, vers le milieu, quand sa sœur lui demande ; « Epouseriez-vous cette fille-là ? » répond avec désinvolture ; « Moi ? Tout de suite ! » Il peut bien ajouter qu’il est vieux garçon, indépendant, se moque du « qu’en dira-t-on, » et n’a pas de mère à ménager ; ces conditions accidentelles peuvent lui donner, en fait, des facilités que n’a pas son neveu : il est cependant, comme celui-ci, membre solidaire d’une famille, héritier de son honneur, et jusque-là il le perpétue dignement. Lui non plus, il ne peut conclure ce mariage sans préférer à l’intérêt de la famille celui de cette jeune personne et le sien propre. Et pourtant l’auteur, qui défend ce mariage au neveu, le permet manifestement à l’oncle ; ou plutôt il ne défend ni ne permet rien à personne ; il constate que l’un, selon le devoir envers la famille, n’épouse pas ; il constate que l’autre, selon le droit de l’individu, épouse. L’œuvre, au demeurant, est neutre ou plutôt mi-partie ; quelqu’un s’en plaint-il ? Autant vaut à peu près se plaindre qu’elle existe : sa raison d’être est justement ce caractère. Pourquoi M. Sardou eût-il repris cette donnée ? Pour la traiter selon la doctrine de M. Dumas et de M. Delpit ? Sans doute il a jugé que l’entreprise était superflue. Selon la doctrine adverse ? Il a pensé apparemment que suivre le contrepied d’autrui serait encore trop peu neuf. Il a donc imaginé cette troisième méthode. Aussi bien, sans malice et de bonne foi, il pouvait s’y arrêter ; elle convenait naturellement à son intelligence, qui fait vite le tour d’une question, et à son indifférence de dramaturge, qui anime d’un souffle égal des fables contraires.

S’il est un passage dans cette pièce où l’on reconnaît mieux que dans aucun autre l’agilité d’esprit de M. Sardou servie par sa prestesse de main, et où l’on admire, avec la souplesse de la pensée, la netteté de l’exécution, assurément c’est le résumé que fait l’oncle, au deuxième acte, des débats de sa belle-sœur et de son neveu. Après ces morceaux oratoires, il y a là quelques paroles familières qui procurent à l’auditeur une détente ; elles donnent l’occasion aux partisans de l’une et de l’autre cause, même aux plus émus, de sourire discrètement ; ces paroles contiennent la substance de l’ouvrage, et c’est là que l’originalité en est le plus visible. « Me blâmez-vous ? » demande