Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/939

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son neveu, tout cet ensemble est lié, distribué avec art. Au deuxième acte, la séance présidée par Clavel, où Mme de Chabreuil et Gontran disputent sur le mariage, fournit encore une scène bien composée, bien conduite ; le résumé des débats, nous l’avons dit, est d’une netteté remarquable. Au troisième, l’entretien de Paula et de Clavel, ce que j’ai appelé un monologue à deux voix, est un excellent morceau de théâtre : le geste qui l’achève est scénique, il est exquis et semble inspiré. Au quatrième, j’ai loué déjà l’échange des consignes ; le duo des adieux, au moins pour la partie de Paula, est d’un mouvement presque lyrique ; pour qu’il soit beau, il n’y manque rien que le style. Enfin, le dénoûment, si critiquable qu’il soit pour le fond, est notable au moins pour la simplicité de la forme ; d’un tel auteur surtout, il plaît aux raffinés comme un trait de modestie. Aussi bien il termine congrûment cette pièce, où M. Sardou n’a que peu sacrifié à l’intrigue. Des gens, qui ne s’aiment ni plus ni moins qu’on ne s’aime couramment, se séparent ; un maître d’hôtel avertit de se mettre à table : un mariage manqué, un dîner servi, voilà des incidens de la vie ordinaire. M. Zola lui-même, qui naguère, agacé par les fictions de M. Sardou, lui refusait son estime, doit se tenir en ce point pour satisfait.

Ainsi M. Sardou, avec cette donnée, n’a refait ni les Idées de Mme Aubray ni le Fils de Coralie, ni un drame adverse ; il n’a pas affecté, pour marcher avec eux ni contre eux, la carrure magistrale de M. Dumas ni l’énergie juvénile de M. Delpit. Entre eux et le public, sur place, il a fait sa Georgette, qui est bien à lui ; il l’a faite telle qu’on pouvait la faire, ou plutôt quoiqu’elle fut impossible ; ce n’était pas trop, pour une telle entreprise, de tout son talent.

Ce n’était pas trop non plus, pour la réussite, du talent de Mlle Brandès, qui s’est déclaré à plein dans le rôle de Paula ; elle est bien attachante, cette jeune fille : elle est gracieuse avec gravité, comédienne avec naturel, pathétique sans réminiscences de tragédie ni de mélodrame. Mlle Tessandier joue le personnage de Georgette non-seulement avec force, mais avec justesse et mesure. M. Adolphe Dupuis prête à Clavel sa bonhomie et sa finesse, sa rondeur et cette tenue parfaite qui est la preuve d’une scrupuleuse intelligence de toute l’œuvre. Georgette, au demeurant, n’a pas à se plaindre de la troupe du Vaudeville.

Cette pièce, prêtant à la discussion, m’a retenu longtemps, et voici que je puis à peine en signaler une autre, qui ne demande guère, il est vrai, que d’être écoutée, et qui ménage à l’auditeur un délicat plaisir : Socrate et sa Femme, de M. de Banville. J’y reviendrai bientôt, ainsi qu’à différentes nouveautés : puissent-elles m’attendre toutes aussi commodément que celle-là !


Louis GANDERAX.