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à leurs maris et surtout aux chefs, Emma se bornait à de timides remontrances et n’osait demander au roi d’éloigner de lui des compagnons dangereux. Une circonstance pourtant lui permit d’intervenir et elle le fit avec énergie.

En janvier 1857, le roi réunissait à dîner son frère, le prince Lot, sa sœur, la princesse Victoria, ses aides-de-camp et ses secrétaires. Aucun excès n’avait été commis pendant le repas auquel la reine présidait. Suivant la coutume anglaise, les dames se retirèrent après le dessert ; les invités se mirent à fumer et à boire. Le roi et le prince Lot les quittèrent pour rejoindre la reine, et les libations continuèrent jusqu’à une beure assez avancée de la soirée. Au nombre des convives du roi se trouvait M. M…. son aide-de-camp. Excité par le vin et les liqueurs, il avait quitté la salle du banquet sans que ses compagnons eussent remarqué son absence, lorsque des cris dans le parc qui entourait le palais vinrent donner l’alarme. Au détour d’une allée, ils rencontrèrent le prince Lot, le roi et M M… Le roi, très ému et très irrité, donna ordre à l’officier de service d’arrêter et de détenir au palais M. M…, l’accusant d’avoir insulté la princesse Victoria. Le lendemain, la jeune femme de M. M… vînt supplier le roi de pardonner à son mari, coupable, disait-il, d’avoir trompé par l’obscurité et en état d’ébriété, abordé la princesse qu’il prenait pour une des femmes de la reine. Le roi était disposé à se montrer indulgent, mais Emma, blessée dans sa dignité et résolue à obtenir du roi qu’il fit un exemple, insista si vivement que M. M… ne recouvra la liberté qu’à la condition de quitter le royaume et de s’engager à n’y plus rentrer. Peu s’en fallut que cet incident n’amenât des complications graves. M. M… se refusait à partir ; excipant de sa qualité d’étranger, il en appelait au représentant de l’Angleterre, Le roi fit acte d’autorité. M. M… fut transporté de nuit abord d’un paquebot en partance pour San-Francisco, et le gouvernement anglais s’abstint d’intervenir, estimant qu’en acceptant, sans lui en avoir référé, les fonctions d’aide-de-camp du roi, il avait aliéné sa qualité de sujet anglais.

Toujours mobile dans ses impressions, Kaméhaméha IV, renonçant, pour un temps au moins, aux plaisirs de la table et d’une vie oisive, se consacra avec ardeur aux soins du gouvernement et aux œuvres charitables dont la reine Emma avait pris l’initiative. Généreux par nature, bon et compatissant, il apportait dans ses aspirations philanthropiques l’ardeur et l’enthousiasme qu’il mettait en tout, ainsi qu’un fond d’exaltation religieuse qui se réveillait en lui à la suite des écarts dans lesquels l’entraînait trop facilement son tempérament. La reine encourageait en lui ses dispositions nouvelles ; l’annonce de sa grossesse augmentait encore