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loi, tout est discrétionnaire et abusif ; les étranges mesures de M. le ministre des cultes ne sont que des oukases, des actes de bon plaisir qui ne se fondent sur aucun fait précis et régulièrement constaté, qui n’ont été précédés d’aucune explication contradictoire, qui ne sont inspirés que par des délations clandestines et irresponsables de parti. Ce qu’il y a de curieux, c’est l’interprétation tout à fait lumineuse et significative qu’a reçue la pensée ministérielle dans un département où les députés conservateurs invalidés vont se présenter de nouveau devant le suffrage universel et où il s’agit justement d’exercer une intimidation salutaire. M. le préfet de Tarn-et-Garonne a écrit à des desservans menacés que si, à une date fixée, ils n’avaient pas réussi à prouver qu’ils s’étaient abstenus de toute ingérence dans la lutte politique, ils perdraient leur traitement. Cet ingénieux préfet a imaginé du premier coup un nouveau principe de droit d’après lequel un simple suspect est tenu de prouver son innocence sous peine d’être condamné sommairement ; il a découvert une théorie commode qui est tout à la fois l’aveu naïf de l’arbitraire et un moyen d’intimidation, un procédé de candidature officielle. Voilà où l’on en vient avec une politique qui ne s’inspire que des passions de parti, qui en dix ans de règne, n’a réussi qu’à troubler la paix religieuse, à confondre toutes les idées, à inquiéter les intérêts, à mettre en doute la grandeur française, et c’est ainsi que la république n’est pas mieux servie dans les affaires intérieures que dans les affaires extérieures.

Cependant le monde marche tout comme si nous ne perdions pas notre temps en vaines querelles, et tandis que nos partis s’épuisent en débats sans honneur pour eux, sans profit pour le pays, il y a bien d’autres questions qui s’agitent de toutes parts. Il y a surtout cette question des Balkans ou d’Orient qui intéresse toutes les puissances, — même la France, — qui change sans cesse de face et qui, provisoirement, paraît être dans une phase assez obscure, assez indécise, où toutes les politiques sont occupées à poursuivre une pacification toujours fuyante. Cette question éternelle, énigmatique, qui passe comme un gros nuage à l’orient de l’Europe, elle n’est pas à Constantinople, où la conférence a attesté son impuissance au moment décisif, un peu par la faute de l’Angleterre, et où la Turquie attend avec philosophie les événemens, sans savoir si elle ira ou si elle n’ira pas en Roumélie ; elle est tout entière sur la frontière bulgaro-serbe, où les armées qui ont été aux prises dans une courte campagne restent en présence, sans se combattre, sans avoir pu néanmoins s’entendre sur lus conditions d’une trêve régulière et définitive. Vainement l’Autriche, d’accord sans doute avec l’Allemagne et la Russie, a envoyé en médiateur officieux le comte Khevenhüller, qui est allé récemment au camp serbe et au camp bulgare pour proposer ou imposer une suspension d’hostilités.