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pour les achats d’objets d’art, et, en général, pour les missions et commissions confidentielles. Ses appointemens étaient de 2,000 roubles, ce qu'il évalue lui-même à 10,000 livres de France. Il recevait, en outre, ce rang et ce titre de colonel qui amusaient tant Frédéric. Grimm, ainsi comblé, quitta Pétersbourg, passa par Stockholm, où le roi de Suède l’avait invité à venir, et arriva à Paris, au mois de novembre 1777, après une absence de près de deux ans. C’est à cette époque qu'il alla demeurer rue de la Chaussée-d'Antin, dans un appartement qu'il occupa jusqu'au jour de l’émigration.


II.

La correspondance entre la souveraine et le philosophe courtisan recommença dès le lendemain de cette seconde séparation. Elle était presque journalière. Catherine, en effet, au bout de quelques années, renonça à l’usage de la poste; elle envoyait tous les trois mois un courrier qui apportait à Grimm un paquet et remportait sa réponse, et ces paquets renfermaient une sorte de journal, quotidien ou peu s’en faut, dans lequel on consignait, de part et d’autre, les affaires, les nouvelles, les réflexions, les saillies, les choses folles ou sages, tout ce qui passait, en un mot, par la tête de ces étranges épistolaires. Ce qui y tenait le moins de place, c’étaient les événemens du jour, sauf plus tard quand la révolution eut éclaté et que Grimm eut quitté la France. Le souffre-douleur se montrait d'une grande réserve à cet égard ; le public ne s’en imaginait pas moins qu'un commerce de lettres de cette espèce devait avoir pour principal objet les questions qui s’agitaient entre les cabinets de l'Europe. Les voyageurs russes qui passaient à Paris se demandaient de leur côté, et non sans appréhension, si le correspondant de Catherine n’était pas chargé d’envoyer des rapports sur leurs liaisons et sur leur conduite. Le gouvernement français paraît avoir été mieux renseigné. « Je dois aux ministres de Louis XVI, a déclaré Grimm, la justice de dire que jamais ils n’ont conçu le moindre ombrage de cette allée continuelle des courriers. Jamais ils n’en ont marqué la plus légère inquiétude. Leur confiance, au contraire, dans ma discrétion était telle qu'ils me tenaient constamment au courant de ce qui se passait entre eux et les ministres de l’impératrice et des instructions qu'ils donnaient au ministre de France à Pétersbourg; mais je gardais ces notions pour moi, et ne me permettais pas d’en dire un mot dans ma correspondance, tant il me paraissait important de ne jamais croiser la marche ministérielle d'une affaire quelconque. Quoique rarement, il arrivait cependant à l'impératrice de me charger parfois d’une insinuation à faire au