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courtisan, Grimm poursuit la fortune, il se met sur le chemin des générosités, mais il n’est pas proprement mercenaire.

Parmi les commissions dont l’impératrice chargeait son factotum, il en était de confidentielles, de délicates. Un jeune Lanskoï, âgé de dix-sept ou dix-huit ans et frère d’un favori de Catherine, avait eu d'assez fâcheuses aventures de voyage. Parti sous la conduite d’un personnage, nommé La Fontaine, qu'on lui avait donné pour gouverneur, il tomba à Dresde dans les filets d’une jeune femme que la correspondance désigne sous le diminutif de Lehnchen. La Fontaine, empressé de favoriser des désordres dont il espérait profiter, se prêta à tout et conduisit en secret les amoureux à Paris. Grand émoi des Lanskoï, qui envoyèrent l’un des leurs à la recherche des fugitifs, et interminables ennuis pour Grimm, sur qui retomba le soin d’aider ces recherches, de séparer les coupables, et en même temps d’éviter un éclat. La tâche n’était pas facile ; le jeune homme voulait absolument épouser la belle, et la belle, de son côté, menaçait, si son amant quittait Paris, de lui courir après. On ne fut tout à fait rassuré que quand le Lanskoï fut de retour à Pétersbourg. Lehnchen ne tarda pas à trouver un « consolateur, » et fut désintéressée moyennant une rente viagère de 2,000 livres, que lui constitua Catherine. Toute cette affaire donna énormément de peine à Grimm, qui dut agir secrètement, faire surveiller « ce lutin » de Lehnchen par la police et obtenir une lettre de cachet contre La Fontaine. Celui-ci, pour éviter l’emprisonnement, s’était réfugié au Temple, comme lieu de franchise, et il y vécut dans la misère jusqu'à ce que Grimm le fit libérer. « M. de Vergennes, écrit le souffre-douleur, s’est prêté dans toute cette affaire, avec le plus grand empressement, à tout ce que j’ai été dans le cas d’exiger de lui, et s’en est rapporté à moi pour tous les ordres dont j’avais besoin, sans la moindre défiance. » Catherine avait en général à se louer des dispositions de ce ministre à son égard ; elle le reconnut par un cadeau de fourrures à Mme de Vergennes.

Une autre affaire confiée à la prudence de Grimm, et qui intéressait plus directement Catherine, concernait un fils qu'elle avait eu en 1762 de Grégoire Orlof, et qui portait le nom de Bobrinski. L'impératrice avait fait élever ce garçon en Allemagne et lui avait assuré une fortune indépendante de 30 ou 40,000 roubles par an. Bobrinski, en 1785, vivait à Paris et dans d’assez mauvaises compagnies. Il avait fait des dettes et paraît même s’être laissé entraîner à des intrigues politiques. Catherine accuse Frédéric de l'avoir incité contre elle, et assure qu'elle en a les preuves en main. Elle n’en restait pas moins disposée à venir au secours du mauvais sujet, pour qui elle se sentait évidemment un faible. Il était nonchalant, mais elle ne le croyait ni méchant ni malhonnête ; une tête