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Mais les années passent, et l’on a affaire à la Pologne, à la Suède, à la Turquie. La guerre avec la Suède en 1789 exigea de grands efforts. « j’étais seule, raconte l’impératrice, sans presque d’aide, et, craignant de manquer à quelque chose par ignorance ou par oubli, j'étais devenue d’une activité dont je ne me croyais pas capable, et je donnais dans des détails inouïs, jusque-là que je devins pourvoyeur de l’armée et que, de l’aveu de tous, jamais armée n’a été mieux nourrie dans un pays qui sans cela ne fournissait aucune ressource. » En 1794, c’est la Pologne et Kosciuszko ; il arrive quatre postes à la fois qu'avaient retenues les vents contraires, trois ou quatre courriers de tous les coins et recoins du monde, « de façon que neuf tables assez grandes suffisent à peine pour contenir tout ce fatras, et que quatre personnes tour à tour me lisent depuis six heures du matin jusqu'à six heures du soir pendant trois jours.» Aussi Catherine se sent-elle fort endurcie aux simples contrariétés. « Vous pouvez me tourmenter tout à votre aise, ne vous gênez pas là-dessus; je suis si accoutumée à être tourmentée dans toutes les directions qu'il y a longtemps que je ne m’aperçois plus que je le suis. A ma place, on vous fait lire quand vous voulez écrire, et parler quand vous désireriez de lire; il faut rire quand on voudrait pleurer ; vingt choses empêchent vingt autres, et vous n’avez jamais le temps de penser un moment, et malgré cela vous devez agir à tout instant, sans sentir de la lassitude jamais, ni de corps ni d’esprit; malade ou en santé, cela est indifférent; toutes choses à la fois demandent que vous y soyez à la minute. »

L'un des extraits qui précèdent nous a montré la place que tenait dans la vie de l’impératrice « la cohorte des petits-fils et filles. » Elle éprouvait peu de tendresse pour son fils, à ce qu'il semble, et de moins en moins à mesure qu'il se sentait davantage héritier présomptif; homme, d’ailleurs, difforme de corps et d’esprit, et qu'on a peine à ne pas tenir pour le fils authentique de Pierre, malgré les Mémoires qui insinuent si visiblement le contraire. Catherine, avec ses brus, était bien, mais apparemment sans intimité. Toute son affection s’était portée sur ses petits-enfans, en particulier sur l’aîné, Alexandre. c’est là son faible. Elle ne se lasse pas de l’admirer, de le vanter, de raconter ses exploits, de dire ses perfections. Il est beau comme le jour; à dix-huit mois, il comprend tout, et, bien entendu, fait tout ce qu'il veut de la grand’ maman. Elle lui a inventé un costume qui se met tout d’une pièce, et dont elle envoie un dessin à la plume dans sa lettre, oubliant que ces détails pouvaient n’être pas aussi intéressans pour Grimm que pour elle. c’est elle qui apprend à lire à l’enfant ; puis, à mesure qu'il avance, elle lui compose des livres de lecture. Elle tire son horoscope, et le pronostic est notable, annonçant, comme il