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Allemagne, partie à Francfort, où l’attirait son amitié pour Nicolas Romanzof, partie à Aix-la-Chapelle pour les eaux. Il trouvait à ces séjours hors de France l’avantage de correspondre plus librement avec l’impératrice, qui ne se souciait pas de lui envoyer des courriers à Paris. Grimm y retourna cependant une dernière fois. Catherine, qui lui avait souvent demandé, et toujours en vain, de détruire ses lettres, éprouvait à cet égard un redoublement d’inquiétude, et exigeait qu'elles fussent brûlées. Grimm ne put consentir à ce sacrifice. « Je revins à Paris en octobre 1791, a-t-il raconté, non pour les brûler, mais pour les faire sortir de France. j’étais sans doute tenté de sauver en même temps bien des choses précieuses pour moi, mais les temps étaient déjà tellement difficiles qu'il était aisé de prévoir qu'au moindre déplacement d’effets, le premier ballot qui sortirait de ma maison serait arrêté, fouillé, et peut-être pillé dans la rue, sous prétexte d’une conspiration contre la liberté. J'étais déjà dénoncé dans les sections et dans les comités comme entretenant une correspondance très étroite avec l’impératrice, qu'on supposait très peu favorable aux principes de la révolution ; je ne pouvais me flatter d’échapper aux effets de cette malveillance que par une extrême circonspection, une immobilité parfaite. j’abandonnai donc toute idée de remuement chez moi, et, à force de précautions, je réussis à faire sortir ce précieux dépôt clandestinement de chez moi, à lui faire dépasser la frontière de la France, et à le mettre, à l’insu de tout le monde, en sûreté en Allemagne. »

Grimm et les siens ne tardèrent pas à suivre les lettres. Les Bueil sortirent de France à la fin de l’année, M. de Bueil pour se rendre à Coblentz, à l’armée de Condé, Mme de Bueil et ses enfans pour aller en Belgique, d’où elle passa plus tard en Allemagne. Grimm attendait pour en faire autant que le départ du ministre de l’impératrice lui donnât le signal ; il quitta définitivement Paris au mois de février 1792. Nous le trouvons, à quelques mois de là, à Carlsbad pour les eaux, à Francfort encore une fois pour le couronnement d'un empereur, la troisième cérémonie de ce genre à laquelle il assistait, et enfin, à Aix-la-Chapelle, où il rejoignit sa fille adoptive.

Telle avait été la crainte de Grimm d’attirer l’attention par des préparatifs de départ, et peut-être aussi l’assurance qu'il conservait de l’inviolabilité de son domicile, en sa qualité de ministre d’une puissance étrangère, qu'il laissa tout derrière lui, papiers, livres, mobilier, sous la garde d’une domestique de confiance. Il avait compté sans la violence révolutionnaire. Le département de Paris commença par faire mettre les scellés dans la maison, puis, une fois qu'il eut été déclaré émigré, ses biens furent placés sous séquestre. « On saisit mes capitaux, mes rentes, tous mes revenus