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cours d’Allemagne de vieux châteaux où l’on s’amuse. « Quand d'ailleurs, ainsi que le dit Grimm lui-même, on a passé sa vie dans les grandes capitales, il est presque impossible de se faire au séjour des petites villes; celui de la campagne absolue serait mille fois préférable. » Aussi voudrait-il changer ; il songe à Vienne, à la Suisse, à Pétersbourg même, où il aimerait conduire les siens, certain qu'une fois mis sous la main et la protection de Catherine, il n’aurait plus à craindre pour eux. Ces désirs de changement devinrent encore plus vifs lorsque les armées de la république envahirent l’Allemagne et firent craindre à Grimm de ne plus être en sûreté à Gotha. Catherine, toutefois, n’encouragea que faiblement ces projets, et son correspondant fut obligé de rester dans la petite capitale, n’ayant d’autre occupation que d’écrire à la tsarine et de servir d’intermédiaire à ses libéralités en faveur des émigrés, consumé de douleur à la vue des progrès d’une révolution qu'il abhorrait, tout près, en un mot, « de mourir d’ennui et de désespoir. » Et encore Catherine vivait-elle quand Grimm exhalait cette plainte; six mois après, il perdait celle qui n’avait pas été pour lui une protectrice seulement, mais une amie.


Grimm n’a pas compris la révolution. Il ne l’a jugée ni en philosophe ni en politique. Il n’a pas su, comme de Maistre et même comme Mallet du Pan, y démêler la puissance de certaines idées destinées à changer la face de la société. Et il n’a pas su davantage reconnaître, dans la situation des cours, les divergences d’intérêts qui devaient rendre vains leurs efforts contre la France. Il avait cru, comme tous les émigrés, que l’armée des coalisés n’avait qu'à se montrer pour en finir avec un gouvernement anarchique, et quand il vit, au contraire, l’avortement de tout ce grand effort, ses tentatives pour l’expliquer devinrent presque comiques. Il ne savait à qui s’en prendre des succès militaires du jacobinisme; il en accusait tour à tour la pédanterie des manœuvres scientifiques, la médiocrité des généraux de la coalition, « la pauvreté d’esprit si universellement répandue dans ces jours de misère et d’humiliation. » Et cela contre des poltrons et des fous, commandés par des brasseurs et des cordonniers! s’il était dévot, il demanderait à la Providence quels sont ses desseins en faisant ainsi triompher le crime et la bassesse ; « mais, ajoute-t-il, il y a longtemps que je l’ai absoute. » Grimm, on le devine, n’admet pas un moment qu'on traite avec la France. Cette seule pensée le révolte, et, quand on en vient là pourtant, il reporte toutes ses espérances sur Catherine. Oh! pour celle-là, il ne craint pas qu'elle entre en compromis avec la révolution! Habitué, toutefois, comme il l’est, à user d’une extrême réserve en tout ce qui concerne la conduite politique de l’impératrice,