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avec des négociateurs décidés à ne pas négocier. « Le territoire offert par la Turquie, écrivait M. Waddington à cette époque, diffère si peu de la frontière actuelle et implique de la part de la Porte des concessions si insignifiantes, qu’il est impossible non-seulement de le considérer comme répondant à la pensée du congrès, mais même de le prendre comme base d’une discussion utile. » Les puissances intervinrent une seconde fois auprès de la Porte. De nouvelles conférences s’ouvrirent à Constantinople le 22 août 1879 et s’achevèrent au milieu de février 1880. Miracle si l’entente se fût faite, alors que les plénipotentiaires turcs mettaient en avant des argumens de la valeur de celui-ci : « Il est fait mention, dans l’article 24 du traité de Berlin, d’une rectification de frontières, la Turquie est disposée à y consentir ; mais la Grèce réclame une cession de territoire : la prétention est inadmissible. » En vain, les commissaires grecs objectaient qu’une rectification de frontières entre deux états implique nécessairement une cession de territoire de la part de l’un de ces états, les Turcs affectaient de ne point comprendre. Entre temps, la Turquie imagina de susciter en Épire un mouvement antiannexionniste. Une adresse qui émettait, avec d’autres vœux non moins difficiles à réaliser, « la création par décret d’une langue et d’une littérature albanaise, » fut envoyée aux différens gouvernemens. La pièce portait le chiffre vraiment imposant de cinquante signatures ! Cette protestation d’un demi-cent d’individus ne pouvait éclairer l’Europe sur les sentimens des 350,000 habitans de l’Épire grecque[1]. On n’eût pas dû s’en inquiéter. Néanmoins la Grèce, puis la France, celle-ci par une longue note annexée à une circulaire diplomatique, prirent la peine de la réfuter, démontrant que les populations de la Basse-Albanie, qui sont ou grecques ou absolument hellénisées, demandaient leur réunion à la Grèce.

En bernant ainsi la Grèce, la Turquie se jouait de l’Europe. La France et l’Angleterre, qui, ayant été les premières à faire valoir au congrès les droits des Grecs, étaient particulièrement atteintes par l’attitude de la Turquie, ne pouvaient laisser les choses en l’état. D’autre part, les Grecs se préparaient à la guerre, grave menace pour la tranquillité de tout l’Orient, à peine pacifié. Lord Salisbury et le comte de Beaconsfield prirent l’initiative d’une nouvelle conférence internationale, « chargée de déterminer, à la majorité des voix, la

  1. Ces sortes d’adresses font partie de l’arsenal diplomatique de la Porte. Le procédé est bien usé, mais les Turcs n’y renoncent pas pour cela. Il y a trois semaines encore, les journaux parlaient d’une protestation des Rouméliotes contre l’annexion à la Bulgarie ; et, huit jours après, les délégués ottomans recevaient à Philippopoli l’accueil que l’on sait.