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de traîner la guerre en longueur. Ils n’ignorent pas non plus qu'il n'est pas nécessaire de prendre les redoutes à la baïonnette quand on peut pénétrer dans le pays par d’autres passages. En 1870, les Allemands n’ont pas enlevé un seul ouvrage, et, à entendre de bons stratégistes, les trente mille soldats tombés sur les glacis de Plevna ont été sacrifiés pour la plus grande gloire de l’armée russe. Au demeurant, toute guerre a sa part d’imprévu, et il n’est point d'ennemi que l’on puisse mépriser. Sous Abdul-Azis, il a fallu à la Turquie 80,000 hommes, commandés par Omer-Pacha, et deux longues années, pour soumettre la Crète. Après la révolution de 1821, les Grecs ont soutenu contre les Turcs une guerre de six ans avec des alternatives de défaite et de succès. Souvent luttant un contre six, ils ont pris d’assaut la formidable citadelle de Nauplie, Athènes, Tripolitza ; ils ont défendu Missolonghi une année entière ; ils ont été victorieux dans vingt combats. Partout sur mer, ils ont eu l’avantage.


Et le bon Canaris, dont un ardent sillon
Suit la barque hardie,
Sur les vaisseaux qu'il prend, comme son pavillon,
Arbore l’incendie.


Or, les Turcs étaient en ce temps-là au faîte de la puissance. Ils croyaient à la pérennité de l’empire, leur trésor était inépuisable, leur armée était innombrable. Les Grecs n’avaient point de canons. L'argent leur manquait. Ils étaient sans organisation et sans discipline, fatalement divisés par les rivalités des chefs. Il en va autrement aujourd'hui. Les soldats turcs n’ont pas perdu leur valeur guerrière, mais où est leur espoir dans les combats ? Sans qu'ils s'en doutent peut-être, les Turcs subissent la fatalité des événemens. Ils sentent que leur règne s’achève. Leurs finances sont perdues, leur armée se désorganise, leur diplomatie désespère, leurs protecteurs se dérobent, le principe des nationalités se substitue à celui de l’intégrité de l’empire ottoman. Seules les compétitions latentes ou avouées maintiennent l’islam en Europe. Si la situation s'est modifiée en Turquie depuis 1821, elle n’a pas moins changé en Grèce. Les Grecs sont disciplinés, bien armés, bien équipés, munis de tous les services auxiliaires, exercés aux nouvelles manœuvres tactiques sous la direction d’officiers français. Ils sont confians dans l’avenir, pénétrés de la justesse de leurs droits, unis dans une même pensée patriotique.

Le mouvement qu'a provoqué en Grèce la révolution rouméliote a été spontané et unanime. En décrétant la mobilisation, le gouvernement a obéi à la chambre, qui elle-même s’inspirait de la volonté