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de tout le peuple grec. À s’y opposer, le ministère eût été renversé et le roi détrôné. L’élan vers la guerre est immense. C’est aux cris de : « Ζήτω ὁ πόλεμος. Vive la guerre ! » que les troupes partent pour la frontière, que les réservistes rejoignent leur corps, que s’embarquent les matelots ; c’est sans aucune plainte que la population accepte les impôts extraordinaires nouvellement votés. Lorsque la poudre aura commencé de parler, ce grand élan national gagnera tout le monde hellénique. Quel retentissement les premiers coups de canon des Grecs auront en Crète, en Épire, en Thessalie, en Macédoine, dans les îles ! Partout où il y a des Hellènes, des révoltes éclateront quand les raïas seront certains d’être secondés ; les souscriptions, les dons, les secours de toute sorte qui déjà arrivent de la part des riches Grecs d’Odessa, de Londres, de Marseille, de Constantinople, d’Égypte, décupleront quand on saura que l’argent est nécessaire, indispensable, qu’il faut des cartouches pour les combattans, de la charpie pour les blessés.

Les hostilités, peut-être, ne commenceront pas avant le printemps. Mais l’idée de la guerre se maintient aussi impérieuse, aussi ardente qu’aux premiers jours. Les Grecs en prenant les armes ont compromis pour longtemps leur relèvement économique ; ils veulent que ce sacrifice ne reste pas inutile. Ils sentent qu’on a exploité contre la Grèce sa soumission, hélas ! bien naturelle, aux volontés des puissances protectrices, et que, oubliant les grands holocaustes de la guerre de l’indépendance, les railleurs ont trop dit : Les Grecs crient beaucoup et n’agissent pas. Pour arrêter leurs prétendus élans, il a suffi, en 1854, d’une frégate française à l’ancre au Pirée ; en 1867, des représentations du corps diplomatique ; en 1878, d’un conseil de l’Angleterre ; en 1881, de la volonté de M. Barthélémy Saint-Hilaire. Si, par impossible, ils faisaient semblant d’entrer en campagne, les Turcs auraient raison d’eux avec un détachement de zaptiés et une section d’artillerie. Les Grecs veulent être au gain, ils ne veulent pas être à la peine. — En 1886, les Grecs veulent être à la peine, comme ils y ont été en 1821. Ils sont résolus aux suprêmes sacrifices. Ils savent qu’il ne leur est pas nécessaire d’être victorieux ; il suffit qu’ils soient héroïques. Une défaite comme les Thermopyles fera autant pour leur cause qu’une victoire comme Marathon. L’Europe est intervenue en faveur des Serbes après une campagne de huit jours. Après une année de luttes sanglantes et acharnées, l’Europe ne pourra point ne pas intervenir en faveur des Grecs. — Mais, puisque aussi bien en Orient toutes les guerres finissent par une médiation, il serait peut-être plus simple de commencer par là.

Henry Houssaye.