Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop lentement, et c’est l’œuvre de Pénélope que bien souvent poursuit l’administration, avec une persévérance digne d’être mieux secondée. La tâche de celle-ci n’a pas été facile dans le passé. Les erreurs qu’on lui reproche n’étaient pas le fruit de l’incurie. Preuve en soient les tâtonnemens incessans et les changemens de systèmes employés. Ces essais si multiples témoignent de perplexités grandes, chez les hommes responsables de l’avenir de la colonie. Militaires et civils se sont succédé au pouvoir, sans parvenir à tourner toutes les difficultés. Et, malgré tout, ils sont arrivés à des résultats qui étonnent le voyageur non prévenu. Tout le long des voies stratégiques, on voit se dérouler les œuvres de la civilisation importée par eux. La carte des nombreux villages créés, entretenus, enrichis sous ces divers régimes, est faite pour surprendre, si l’on se rend bien compte des obstacles qu’on a dû surmonter.

On a bientôt fait de dire : « Opérons à l’anglaise ou à l’américaine. » Mais ni les Anglais ni les Américains n’ont eu jusqu’ici beaucoup d’occasions de spéculer sur les terrains de l’Australie ou du Far-West ; l’état a donc pu y vendre aux pionniers des domaines à bas prix, sans leur imposer de conditions. De plus ils n’ont pas eu affaire à des populations indigènes avec lesquelles il fallût compter. Ils ont taillé librement, en plein désert illimité, chassant devant eux à peine quelques misérables sauvages. Nos soldats ont battu Arabes et Kabyles sans pouvoir expulser les vaincus. On ne saurait faire abstraction de trois millions d’indigènes qui sont loin d’être tous des nomades, et qu’on ne prétendra pas absorber par la trop lente introduction de quatre ou cinq cent mille Européens, dont à peine la moitié sont Français.

Il n’est pouce de terre, en Algérie, qui n’appartienne à quelqu’un. Pour être rarement tout à fait individuelle, la propriété y est pourtant constituée par l’usage ou par la loi. Pour donner aux colons, il a fallu dessaisir les indigènes. Les biens conquis sur les gouvernemens turcs et arabes ont, dans le principe, formé la base des terres du domaine, mais ils ont été vite absorbés. Ceux qu’on s’est procurés par confiscations, à la suite de révoltes rigoureusement châtiées, ou d’incendies volontaires punis sur les tribus, ont passé à leur tour dans la circulation coloniale. Tout cela ne s’est pas fait sans oppositions violentes, rancunes amassées, tentatives d’éviction, intimidations exercées, qui rendent encore parfois la position du colon dangereuse ou décourageante.

Un voyageur peut, comme nous l’avons fait, parcourir les recoins les plus reculés de la plaine et de la montagne avec presque autant de sécurité qu’il en rencontrerait en France ; mais le colon doit se défendre, dans les postes avancés, contre les rancunes des tribus