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faute de population. Nous avons entendu des colons avouer qu’il faudrait inventer l’Arabe s’il n’était tout trouvé. En général, on peut s’assurer son travail pour un prix moyen de 2 francs par jour. Il est intelligent et peut, avec de l’attention, être dressé aux méthodes européennes. s’il n’est pas toujours très actif ni très fidèle, on peut pourtant se l’attacher partout où il n’est pas absolument nomade. Or il ne change guère la place de sa tente au-delà d’un certain rayon. Les douars et même les gourbis déménagent, mais pour se transporter à quelques pas, au flanc d’un vallon voisin du même canton. À plus forte raison le Kabyle, ce reste des populations autochtones, sédentaires et laborieuses, se présente-t-il comme travailleur précieux, partout où la terre lui manque, où la conquête l’a réduit à un patrimoine insuffisant. En certains coins de la province de Constantine, heureusement peu nombreux, il offre ses bras industrieux pour un salaire dérisoire. Il est des Kabyles qui, par un miracle d’économie, arrivent à se nourrir, ainsi que leurs familles, pour 1 fr. 25 de gain journalier obtenu des colons. Ceux-ci ne se trouvent donc que rarement en face de l’impossible ; car, fussent-ils loin des centres de population indigène, ils verraient accourir par bandes les montagnards kabyles marocains, pour faire leurs moissons et piocher leurs vignes.

Le petit colon qui consomme lui-même le blé qu’il produit, n’a guère à se soucier de sa valeur vénale sur le marché. Néanmoins la médiocrité du prix des céréales l’encourage peu à étendre ses semailles. La crise agricole que subit l’Europe réagit aussi sur l’Afrique et donne à penser au laboureur qu’il fait un pauvre métier, qu’il lui vaudrait mieux devenir bouvier ou vigneron. L’indigène n’est-il pas là pour le pourvoir de blé et d’orge à bon compte ? Maigrement outillé, celui-ci pousse devant lui son araire au soc de bois, sans versoir, traîné par deux maigres haridelles, parfois par un petit bœuf et un âne ; il sème à fleur de terre, sans fumure et avant labour ; il produit peu, mais presque sans frais. Il nourrit ses bêtes de trait tant bien que mal, dans les landes et les bois ; il compte son temps pour rien et sa peine pour peu de chose. Il n’ensemence guère que la portion de jachère qu’il juge nécessaire à l’alimentation de sa famille pour une année ; mais parfois le ciel lui est propice et lui envoie une récolte qui dépasse ce qu’il serait en droit d’attendre. Alors il peut vendre et tout prix lui semble bon. C’est lui, somme toute, et non le colon, qui alimente la majorité des marchés de l’Algérie, qui fournit à l’exportation et donne lieu de penser que l’Afrique pourrait redevenir le grenier de Rome : mais les Romes modernes attendent avec plus de confiance les steamers d’Amérique que les galères de Carthage. Aussi le colon