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européen qui fait la balance de ses déboursés et de ses rentrées arrive-t-il à cette conclusion inattendue que sa culture perfectionnée, améliorante, mais coûteuse, soutient mal la concurrence, non-seulement du producteur américain, mais même du Cincinnatus arabe.

Il se fait donc bouvier. Il le peut assez aisément, malgré la sécheresse proverbiale du pays, pourvu qu’il ait quelques avances d’argent et dispose de vaines pâtures assez étendues. Il lui suffit pour cela d’acheter aux indigènes des bestiaux jeunes ou amaigris pour les élever ou les engraisser. Il se les procure souvent à des prix très bas, dans les momens de pénurie. L’Arabe est imprévoyant ; il ne fauche pas ses blés, se contentant d’en couper l’épi, à la faucille. Toute sa paille se perd sur place. Il ne fait presque nulle part la fenaison des foins naturels que le printemps fait croître dans les jachères. Comme la cigale de la fable, il se trouve donc au dépourvu, non tant quand la bise survient que lorsque l’été dessèche les dernières broussailles sur cette terre rôtie. c’est le moment psychologique où le cultivateur européen, spéculateur d’instinct, attend sa pauvre victime. Pour peu qu’il ait mis ses pailles en meules, fauché une partie de ses foins, réservé un peu d’orge dans ses greniers, il peut s’approprier avantageusement les chevaux, les bœufs affamés de l’Arabe ; il les empêche de mourir jusqu’aux prochaines herbes, et les remet en état quand les premières pluies font reverdir le sol.

Ce métier serait plus régulièrement productif si le colon pouvait, comme en France, s’assurer une récolte de fourrages artificiels. Malheureusement, partout où l’on ne dispose pas d’eaux pour les irrigations d’été, la luzerne même se dessèche ou ne donne plus que des coupes insignifiantes. Le problème des assolemens indispensables à la culture intensive se pose dès lors d’une façon presque insoluble. Les maïs non plus ne poussent pas sans humidité ; les fèves et surtout les vesces, par la rapidité de leur croissance et la possibilité de les récolter avant la sécheresse, peuvent fournir quelques provisions de fourrages artificiels, plus ou moins régulières. Quoiqu’on ne puisse pas compter, en Afrique, sur les mêmes probabilités de développement végétal que dans nos climats tempérés, pourtant on peut y obtenir des résultats fructueux, même dans cet ordre d’entreprises. Les bœufs et les moutons d’Algérie ne fournissent-ils pas déjà, en partie, les marchés de la Provence ? c’est donc qu’on est parvenu à les engraisser sans trop de frais ni de difficultés.