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qu’en 525, au concile de Mâcon, un évêque se prit à dire que les filles d’Eve ne pouvaient être considérées comme faisant partie de l’espèce humaine, que toutefois il finit par se rendre aux raisons des autres évêques. Législateurs, évêques ou philosophes, dans tous les temps, les hommes se sont occupés de trouver des expédiens pour se délivrer de ce qui les inquiétait, et, dans tous les temps, il s’est mêlé une secrète inquiétude au charme que la femme exerçait sur l’homme. Il y a toujours en elle quelque chose qu’on adore et quelque chose qui fait peur.

M. Wychgram remarque que la France est le pays du monde où l’on a le plus souvent agité et débattu la question de savoir ce qu’il convient d’enseigner aux femmes, et il en donne pour raison que la France est le pays où elles ont le plus d’empire. Au moyen âge, le grand souci était le salut des âmes, et toute l’éducation se rapportait aux meilleures précautions à prendre pour échapper aux embûches du diable, ce lion dévorant qui rôdait sans cesse autour du bercail. Or le diable passait pour avoir des entrées plus promptes, plus faciles, dans le cœur de la femme ; elle entretenait avec lui de vieilles intelligences, une antique amitié ; ne s’était-il pas passé quelque chose entre eux dans le jardin d’Éden, au pied de l’arbre de la connaissance ? On en concluait que l’instruction ne convenait qu’aux religieuses, à qui elle pouvait servir à écarter les distractions et les rêveries dangereuses pendant leurs longues heures d’oisiveté : « Prie, écris, lis, fais des vers et tu chasseras les mauvaises pensées, » écrivait un saint abbé à une nonne d’un couvent voisin. En revanche, il paraissait à peu près certain que l’ignorance était pour les mondaines d’alors, pour les gentilles dames « aux yeux vairs et aux crins d’or, » une garantie d’innocence, une véritable ceinture de chasteté. « Toutes femmes, disait Pierre de Navarre, doivent savoir filer et coudre. » Mais il leur défendait d’apprendre « lettres ni écrire, sinon pour être nonnain. »

Chaque siècle a ses novateurs heureux ou malheureux, et nous nous étonnons comme M. Wychgram de la hardiesse d’un Pierre Dubois, conseiller de Philippe le Bel, qui, désespérant du succès des croisades à main armée, regardait la femme comme l’instrument choisi de Dieu pour la délivrance du saint sépulcre. Il avait imaginé que les prêtres du rite oriental, à qui le mariage n’était point interdit, et les Sarrasins eux-mêmes se décideraient facilement à épouser de bonnes catholiques, pourvu qu’elles leur apportassent en dot non-seulement leurs vertus, mais toutes les connaissances utiles, et il proposait de consacrer les revenus de plus d’une abbaye à fonder des écoles de jeunes filles, à qui on enseignerait le latin, le grec, l’hébreu, l’arabe, les sciences naturelles, la médecine et la chirurgie. Ces femmes savantes, ces femmes médecins ne pouvaient manquer de ramener à la