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ni les révolutions intérieures. Elle a été l’année d’une politique poussée à bout, des confusions de partis, des abus de domination érigés en système, des violences de majorité, des expéditions lointaines compromises par les fausses directions, des désordres financiers perpétués et aggravés ; elle a été aussi l’année des élections, où le pays, excédé et fatigué d’une politique à la fois irritante et vaine, a fini par se réveiller, par se servir du scrutin pour demander compte, autant qu'il le pouvait, de ses intérêts mis en péril, de la paix intérieure altérée par les passions de secte, de la considération de la France diminuée dans le monde.

C'est là ce qu'il y a de plus clair. Si la nouvelle année où nous allons entrer a pour elle encore le bénéfice et l’attrait de l’inconnu, l'année 1885, qui finit aujourd'hui, est trop connue; elle laisse un embarrassant héritage de fautes à réparer dans les affaires extérieures comme dans les affaires intérieures de la France, et le plus dangereux de tous les calculs serait de méconnaître de parti-pris cette situation, de prétendre continuer la politique qui a fait tout le mal, d'interpréter infidèlement les vœux du pays. Assurément, les affaires du Tonkin, qui sont un des legs de l’année expirante et des derniers ministères, ont été un des griefs du pays dans les élections; elles n'ont pas été le seul, elles ont eu, dans tous les cas, leur rôle, leur influence, et c’était le devoir d’un parlement nouveau d’avoir, dès sa réunion, des explications sérieuses avec le gouvernement. c’était inévitable et nécessaire, ne fût-ce que pour éclairer l’opinion, pour rétablir dans sa précision et dans sa vérité une question obscurcie par tous les subterfuges. Croit-on cependant avoir servi fidèlement et utilement les intérêts de la France avec cette représentation qui vient d'être donnée, avec ces divulgations malheureuses d’une commission qui a passé trois semaines à jouer avec tous les secrets, enfin, avec cette discussion, qui a fini par le plus médiocre des votes? Est-on certain de n’avoir pas offert, pendant quelques jours, un assez triste, un assez décourageant spectacle en représentant la France dans cette attitude d’une nation ne sachant ce qu'elle veut, prompte aux défaillances comme aux témérités, toute prête à changer de système d’un ministère à l’autre et à quitter, avec une sorte d’effarement, une terre qu'elle a arrosée de son sang? Ah! sans doute, on le redira tant qu'on voudra, si la question était entière, s’il s’agissait de partir pour le Tonkin, le plus simple serait peut-être de n’y pas aller; mais on y est, on est à Hanoï, sur le Fleuve-Rouge, comme on est à Hué, dans l’Annam, comme on était déjà dans la Cochinchine. Le drapeau est engagé, il couvre tous ceux qui se sont compromis à sa suite, ceux qui ont cru à notre parole. Depuis trois ans, nos soldats combattent pour l’honneur et les intérêts de la France. Nos diplomates ont négocié pour faire