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M. le ministre des cultes dans ses campagnes contre de malheureux desservans de village. c’est tout ce qu'ils ont fait depuis quelques semaines en dehors de la discussion sur le Tonkin; c’est la grande occupation à laquelle ils se sont livrés, et ils ont poursuivi cette œuvre avec la passion aveugle d’hommes qui ne s’arrêtent ni devant les plus simples garanties ni devant la légalité la plus évidente ni même devant l’indépendance du suffrage universel. Ils ont déjà invalidé les députations de cinq ou six départemens, le Tarn-et-Garonne, la Lozère, l'Ardèche, les Landes, la Corse. Pourquoi n’ont-ils pas invalidé toutes les autres députations conservatrices? c’eût été tout aussi simple et tout aussi inique. Les républicains qui se livrent à ces fantaisies d’omnipotence oublient que les pouvoirs de vérification laissés aux chambres ne sont pas sans limites et qu'ils ne doivent surtout être exercés qu'avec une prudente réserve. Une élection où il y a eu des irrégularités, des violations de la loi, des fraudes ou des corruptions avérées, cette élection peut être cassée sans nul doute ; c’est le droit de la chambre, c’est quelquefois son devoir. Quand une majorité, abusant de sa force, va au-delà, poursuit des adversaires, met un département en suspicion pour son vote, cherche dans des invalidations des revanches pour ses amis vaincus et charge au besoin le gouvernement de préparer le terrain d’une nouvelle lutte électorale, elle ne fait plus qu'une œuvre violente et arbitraire de parti. Elle donne l’exemple d’un mépris frivole du suffrage universel, elle envenime toutes les luttes en remettant gratuitement, par caprice, en mouvement toutes les passions d'une contrée, et de plus elle s’expose à d’étranges désaveux de la part des populations offensées dans leur droit, dans leurs sentimens et dans leur sincérité. La majorité du Palais-Bourbon, par un abus d’omnipotence, casse le verdict du suffrage universel, — le suffrage universel casse à son tour l’arrêt d’une majorité vindicative.

Qu'arrive-t-il dans le département de Tarn-et-Garonne, qui a commencé le défilé des invalidations? Les populations ont renvoyé à la chambre leurs députés du 4 octobre, — trois conservateurs au moins sur quatre élus ou proclamés. Tout ce qu'ont pu gagner les républicains a été de reconquérir péniblement, non sans contestation, un de leurs amis, qui n’a même été admis provisoirement qu'à la faveur d’une annulation de suffrages assez extraordinaire. Et, pour arriver à ce résultat, quels moyens n’a-t-on pas employés? Menaces, révocations, abus d’autorité, petits fonctionnaires mandés à la préfecture, suppression du traitement des desservans suspects, tout a été mis en usage. Toutes les ressources de la candidature officielle ont été déployées. On a vu sous la république l’administration imiter et dépasser tout ce qu'a pu imaginer l’empire, qui, lui du moins, ne prétendait pas au libéralisme. Les républicains, en vérité, donnent de beaux exemples et