Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sauraient bien décider le sultan à leur ouvrir le Bosphore. C’est ainsi que, avant même d’être déclarée, une guerre entre la Russie et l’Angleterre eut soulevé de nouveau la question d’Orient et mis en cause les décisions les plus essentielles des grands congrès internationaux.

À s’en tenir au droit, les traités nous semblent formels. Les détroits sont fermés aux vaisseaux de guerre de toutes les puissances ; la Porte n’est pas libre de les ouvrir à l’un ou à l’autre des belligérans. Le traité de Paris, renouvelé à cet égard à Londres en 1871, à Berlin en 1878, stipule purement et simplement la clôture des détroits. Il est vrai qu’au congrès de Berlin, en 1878, lord Salisbury avait, en homme prévoyant, essayé d’insinuer l’opinion que la Porte demeurait maîtresse d’ouvrir les Dardanelles et le Bosphore à ses amis. Le second plénipotentiaire anglais avait demandé l’insertion, aux protocoles du congrès, d’une déclaration portant « que les obligations de Sa Majesté britannique, concernant les détroits, se bornaient à un engagement envers le sultan de respecter, à cet égard, les déterminations indépendantes de Sa Majesté, conformes à l’esprit des traités existans[1]. » Une pareille prétention était trop en désaccord avec l’esprit et la lettre des traités précédens pour être sanctionnée de l’aréopage européen. Si, afin de ne pas soulever de difficultés sur un point où le congrès de Berlin ne faisait que confirmer les traités existans, les plénipotentiaires des autres puissances ne protestèrent pas contre la subtile interprétation britannique, l’un des représentans de la Russie, le comte Schouvalof, eut soin, à la séance suivante, de faire insérer une contre-déclaration, affirmant le caractère européen des stipulations relatives à la clôture des détroits et l’obligation, pour toutes les parties contractantes, de s’y soumettre en toutes circonstances[2]. En dépit des affirmations de la presse anglaise, il est manifeste que tel est le sens des conventions européennes. Entendue autrement, la clôture des détroits aurait, pour la Russie, un caractère d’hostilité qu’aucun gouvernement ne saurait admettre. Il n’y aurait plus à son égard de réciprocité : la sortie de la Mer-Noire serait interdite à ses vaisseaux de guerre, tandis que l’entrée en demeurerait ouverte aux vaisseaux de ses ennemis. Cela est d’autant moins admissible que le traité de Paris

  1. Déclaration insérée dans le dix-huitième protocole. Lord Salisbury, le 7 mai 1885, à la chambre des lords, a eu soin de rappeler et de renouveler cette réserve.
  2. dette contre-déclaration, présentée le 12 juillet, portait « que le principe de la clôture des détroits est un principe européen et que les stipulations conclues à cet égard en 1841, 1856 et 1871, confirmées actuellement par le traité de Berlin, sont obligatoires de la part de toutes les puissances, conformément k l’esprit et à la lettre des traités existans, non-seulement vis-à-vis du sultan, mais encore vis-à-vis de toutes les puissances signataires de ces transactions. »