Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaguer en liberté. Trois petits porcs, d’humeur folâtre, y jouent avec les enfans. Nous interrogeons le cultivateur : il a deux bœufs de travail, mais ni cheval, ni moutons ; tout son bétail lui a été enlevé pendant la dernière guerre ; il doit reconstituer son troupeau à force d’économie. Chacun est propriétaire de sa maison, d’une étendue de terre suffisante pour l’entretien de la famille et d’une vigne, dont il boit le vin à suffisance et vend l’excédent pour acheter ce qu’il ne peut fabriquer lui-même. Dans les villages voisins, écartés de la route, et qui ont, par conséquent, peu souffert, les paysans ont beaucoup plus de bétail. Les plus aisés possèdent 300 et même 400 moutons. j’examine sous un hangar les instrumens aratoires : ils sont très primitifs. La charrue est celle de Triptolème ; le soc est en fer, mais il n’y a pas de versoir ; deux bâtons attachés de chaque côté en tiennent lieu ; une herse très légère, une houe, une fourche et une petite baratte, voilà tout. À l’intérieur, il y a deux chambres : l’une sert de cuisine ; sur un feu ouvert, dans une marmite suspendue à une crémaillère, mijote la polenta de maïs. La chambre à coucher possède un poêle en terre cuite, mais pas de lit ; un tapis étendu à terre en tient lieu. Il n’y a ni table, ni chaises, seulement quelques escabeaux. Les fenêtres, très petites, sont fermées, non par des carreaux de vitre, qui constituent ici un objet de luxe très rare, mais par des barreaux de bois et, la nuit, par des volets. L’hiver, il faut choisir entre le froid et l’obscurité. Les murs et les plafonds sont complètement noircis par la fumée. Quel contraste avec les intérieurs rustiques des paysans de la Hollande ou du Danemark ! Mais, comme partout où la population est peu dense, ces paysans, si mal meublés, sont bien nourris. Leurs repas consistent, le matin, en pain et lait ; à midi, viande avec polenta de maïs ou des fèves, le soir du lait, du fromage et des œufs. De temps à autre un agneau ou une poule complète le menu.

Dans toute cette région, comme au reste en tout pays musulman, le mouton, l’animal des terres incultes, est l’unique viande de boucherie. Ce qu’on en tue est inouï. Devant les auberges, sous les vérandahs, on voit pendues des carcasses écorchées ou des peaux fraîches, et l’on vend des morceaux d’agneaux rôtis.

De Vetren à Tatar-Bazardjik, nous roulons encore trois heures dans une plaine fertile et bien cultivée. Des vignobles alternent avec des champs d’orge, d’avoine et de maïs, mais on voit peu de froment et point de pommes de terre. Il faut s’en réjouir, car ce tubercule qui forme l’une des bases principales de l’alimentation dans toute la plaine baltique, n’est, en somme, qu’une nourriture grossière qui, par son prix, favorise la réduction des salaires. À notre droite s’élèvent les croupes imposantes et sombres du Rhodope, dont quelques sommets sont couverts de neige. À sa base, au-delà