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prélats, une indignation, une fureur, qui, au mépris de tout sentiment chrétien et humain, les pousse à recourir aux moyens les plus odieux. Ils dénoncent aux autorités turques les écoles bulgares comme des foyers de propagande révolutionnaire et les instituteurs comme des comitas, c’est-à-dire comme affiliés à des comités insurrectionnels ; les écoles sont fermées et les maîtres envoyés enchaînés à Salonique, entassés dans la forteresse de Kani-Koulé, « la Tour du sang, » et, de là, exilés en Asie-Mineure, c’est-à-dire voués à la mort. Lire un livre bulgare, se rattacher à l’exarchat bulgare, chanter une chanson nationale, est un crime aux yeux des Grecs et des Turcs, car manifestement cela trahit l’espérance de voir renaître « la grande Bulgarie. » Le mouvement se trouve ainsi décapité de tous ceux qui peuvent le soutenir ou le guider.

Quelques faits pris au hasard feront comprendre ce qu’a de cruel cette persécution systématique. Le village de Zélénitché, à trois lieues de Castoria, compte 1,500 habitans, tous Bulgares, tous rattachés à leur église nationale, sauf huit familles hellénisées. qui continuent à reconnaître l’autorité de l’évêque grec. Les deux lieux de culte bâtis aux frais des fidèles sont attribués à ces huit familles ; les autres en sont exclus, dépouillés. Ils se plaignent au kaïmakan turc ; au lieu d’avoir égard à leur juste réclamation, celui-ci les oblige à signer une pièce où ils s’engagent à ne pas entrer dans leurs églises tant qu’ils n’auront pas reconnu comme leur évêque Mgr Kyrillos, le prélat grec. Le gouverneur-général, Ali-Kemali-Pacha, fait une tournée de ce côté. On en appelle à sa justice. Il répond en faisant expédier, sous escorte, à Monastir le dernier maître d’école de la région de Castoria. À Negovan, à Krouchevo, à Stroumitza, à Doiren, à Seres et dans mainte autre localité, les églises bulgares ont été occupées par le clergé grec soutenu par l’autorité turque. À Salonique même, elles ont été confisquées par l’archevêque phanariote, et deux d’entre elles restent fermées, malgré les incessantes réclamations des fidèles. Voici les paroles textuelles du moutasserif de Bitolia adressées à une députation bulgare : « Je permets l’ouverture de votre église, mais à condition qu’elle soit soumise au patriarche et que les offices se fassent en langue grecque ; car, vous. Bulgares, avec votre espèce de langue russe, vous êtes les ennemis déclarés de l’empire ottoman. » Dans un meeting ' de Grecs tenu à Salonique pour protester contre certaines révélations de la presse anglaise, l’archevêque phanariote qui présidait s’écria en finissant : « Tout ce qui est bulgare est panslaviste, agitateur, révolutionnaire ; demandons à Galib-Pacha qu’il ferme les écoles de ces ennemis de notre gouvernement. »

Le gouvernement interdit aux Bulgares d’avoir des imprimeries. Tous leurs livres classiques doivent venir de Roumélie et ils sont soumis