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Il était attendu impatiemment. Ses amis sentaient que seul il était capable de mener à bonne fin l’œuvre qu'il avait improvisée, et ses adversaires, si nombreux alors à la cour et dans les sphères officielles, tenaient à lui en laisser l’entière responsabilité. Comment ne pas croire à la sincérité des protestations pacifiques dont il s'était montré si prodigue à Paris en voyant les difficultés avec lesquelles il allait se trouver aux prises à son retour?

Depuis son départ, comme dans l’automne 1866, lors de sa longue retraite à Varzin, les rouages du gouvernement, qui se compliquaient de l’annexion des nouvelles provinces et de la création de la Confédération du Nord, avaient peine à fonctionner. On ne savait quelle direction prendre en face des résistances qui se manifestaient de toutes parts. Il semblait que la tâche qu'on avait entreprise eût dépassé le but, qu'on eût trop auguré de la force d'assimilation de la Prusse. On constatait qu'on ne faisait aucun progrès dans les états violemment incorporés dans la monarchie, que les esprits restaient montés au même diapason, frondeurs, méprisans pour les avances de l’administration[1]. Des manifestations hostiles se produisaient partout, passives ou turbulentes, suivant le tempérament des populations. Le Hanovre refusait de faire litière de son passé et de rompre les liens séculaires qui l’attachaient à sa dynastie ; ses officiers et ses soldats attendaient, embrigadés par milliers à l’étranger, une occasion de venger Langensalza. La Hesse ressentait l’injure de la conquête, au point de regretter l’électeur, le plus impopulaire des souverains; dans le Nassau et à Francfort, les fonctionnaires étaient comme des parias, voués à l’isolement. Partout restait vivant le souvenir de la guerre fratricide.

En face de ces ressentimens, les esprits éclairés déploraient que la politique de conquête eût prévalu dans les conseils du gouvernement. Ils regrettaient que la Prusse, sous le coup de l’émotion produite par ses immenses succès militaires, n’eût pas maintenu la Confédération germanique. Entourée comme elle l’était du prestige de ses victoires, elle aurait pu faire accepter cette œuvre d’enthousiasme par l’Allemagne tout entière. L’élan eût été unanime, la prépondérance de la Prusse reconnue, et l’union accomplie en harmonie

  1. Dépêche d’Allemagne. — « Les populations des nouvelles provinces sont loin d'être pénétrées encore de cet amour filial que le roi Guillaume a l’ambition d’inspirer à tous ses sujets anciens ou nouveaux. Ce ne sont pas les procédés de sa bureaucratie, les mesures vexatoires qu'elle leur applique et les lourdes charges qu'elle leur impose qui les réconcilieront de sitôt avec leur sort. Aussi les difficultés que la Prusse rencontre dans son œuvre d’assimilation ne font-elles qu'augmenter de jour en jour; l’avantage de faire partie d’une grande agglomération, qui a pu séduire les masses, ne les émeut plus. Les violences qu'elles endurent ne sont pas de nature à leur faire oublier leur histoire et le bien-être insouciant dont elles jouissaient autrefois. »