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songeait à réclamer, aussitôt la paix conclue, Mayence et le Palatinat, sans avoir une armée au service de ses revendications. n’avait-il pas refusé de s’associer à la Russie, qui, dès le lendemain de Sadowa, demandait un congrès en déclarant qu'elle ne reconnaîtrait pas les transformations territoriales que la Prusse poursuivait en Allemagne[1] ?

Le cœur saigne au souvenir de ces temps néfastes, où s’est écroulée, en un clin d’œil, la fortune de la France, si laborieusement édifiée par son génie et la persévérance de son patriotisme.

Le comte de Bismarck était un politique réaliste. Il tenait la guerre pour inévitable, malgré les assurances pacifiques qu'il rapportait de Paris ; il entendait avoir tous les atouts dans son jeu le jour où se résoudrait sur les champs de bataille la question de prépondérance posée entre la France et la Prusse depuis 1866. Il se remit à l’œuvre sans désemparer avec son indomptable énergie. Il pouvait s’en rapporter au ministre de l’intérieur pour réorganiser et apaiser les provinces conquises, c’était affaire de patience, de tact et de procédés. Mais seul il était capable d’imposer à des souverains alliés, qui s’étaient fidèlement et vaillamment comportés dans les rangs de l’armée prussienne en face de l’ennemi, une constitution qui limitait leurs droits régaliens et les réduisait au rang de vassaux. Il savait colorer les sacrifices et vaincre les résistances; il avait l’esprit qui persuade et la volonté qui commande. Il se montrait d’ailleurs très large sur les questions qui touchent à l’amour-propre, il laissait à ses confédérés tout ce qui est apparent dans l'exercice de la souveraineté.

Il était plus malaisé d’obtenir des cours méridionales, dont l’existence indépendante était solennellement garantie par le traité de Prague, de renoncer à leurs prérogatives diplomatiques, de céder l'administration de leurs postes et de leurs télégraphes, de placer leurs armées sous les ordres de la Prusse et de les réorganiser suivant ses exigences. Elles pouvaient motiver leurs fins de non-recevoir par l’hostilité du sentiment public et des chambres. Malheureusement il ne leur était pas permis d’oublier les traités d’alliance offensive et défensive qu'elles avaient signés dans une heure d’affolement, au mois d’août 1866. Elles se trouvaient en face d’un créancier intraitable qui avait su se prémunir contre l’oubli de la foi jurée. En imposant au grand-duché de Bade, à la Hesse, au Wurtemberg et à la Bavière des contributions de guerre, des cessions de territoires et des traités d’alliance impliquant des conventions militaires, M. de Bismarck n’avait pas perdu de vue les intérêts économiques

  1. La Politique française en 1866, ch. V, p. 239. — M. Benedetti au quartier-général prussien.