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disait la reine, j’ai peine à comprendre que les princes du Midi se montrent si prévenans pour la France, tandis qu'ils nous dissimulent si peu leur mauvais vouloir. Soyons prêts, ajoutait-elle ; que l'esprit allemand se réveille et que le Midi, malgré ses sentimens particularistes, soit au jour des épreuves notre fidèle auxiliaire. »

Être prêt, telle était en effet la constante préoccupation de la cour de Prusse et de son gouvernement. Il y avait à peine quinze jours que le roi, à son débotté au château de Babelsberg, avait télégraphié à l’empereur « qu'il ne saurait oublier l’accueil plus qu'aimable et amical dont il avait été l’objet à Paris pendant son séjour à jamais mémorable, » et déjà, à Berlin, on était redevenu nerveux. On s’était flatté que des démarches de courtoisie et des protestations sympathiques feraient oublier à la cour des Tuileries d'amers déboires, et l’on croyait s’apercevoir que si l’accueil fait au roi avait été empreint d’une sincère cordialité, notre politique, en revanche, n’avait rien sacrifié de ses prétentions. Aussi la crainte commençait-elle à succéder à la sécurité dans laquelle on s’était complu. On redevenait soupçonneux, on se préoccupait des plus petits symptômes pour les commenter et y trouver la trace de nos arrière-pensées. Les esprits chagrins allaient jusqu'à prétendre que l’accueil fait au prince royal à son second voyage à Paris avait été marqué de moins d’abandon et de cordialité que le premier. On ne s’arrêtait pas en si bon chemin, on attribuait le revirement dans nos dispositions aux difficultés croissantes de notre situation intérieure. On voyait dans les attaques dont le gouvernement était l’objet dans la presse et au corps législatif le réveil irrésistible de passions longtemps comprimées, et l’on craignait que l’empereur, malgré ses sentimens concilians, ne fût, un jour ou l’autre, forcé de recourir à un puissant dérivatif, tout indiqué dans une guerre contre la Prusse. Les correspondances du comte de Goltz n’étaient pas de nature à atténuer ces appréhensions. Elles rapportaient des propos inconsidérés tenus dans nos salons et dans nos cercles militaires ; elles disaient que nos armemens se poursuivaient sans relâche ; elles appelaient surtout l’attention sur le développement inquiétant et mystérieux de notre artillerie. Il était revenu aussi à l’ambassadeur du roi que le cabinet des Tuileries comptait reprendre en main, avec une énergie nouvelle, la question du Schleswig, et que M. Béhic, — voire même le prince Napoléon[1], — serait envoyé à Copenhague pour encourager la résistance que le gouvernement danois opposait à la Prusse.

  1. « On parle d'une mission du prince Napoléon à Copenhague, écrivait le 18 juillet la Gazette de l’Allemagne du Nord. De quelle nature est cette mission? On ne le dit pas. La presse danoise ne manquera pas d’exploiter cette nouvelle pour éveiller des espérances qui resteront aussi chimériques que celles dont on se berçait en 1866.»