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d’y mettre telle condition qui lui plairait, mais elle reconnaît que l'obligation de rétrocéder dérive d’un article du traité de Prague ; or l’article 5 ne stipule aucune réserve. Les conséquences de la demande du cabinet de Berlin seraient de créer, dans les districts rétrocédés, des communautés allemandes, spécialement protégées par la Prusse et de lui conférer un droit régalien d’intervenir dans les affaires intérieures du Danemark. M. de Bismarck sait, ajoutait la dépêche, de quels sentimens de conciliation nous nous sommes toujours montrés animés ; il ne saurait donc se méprendre sur le caractère de nos observations. »

Notre ministre des affaires étrangères transmettait ces instructions à M. Lefèvre de Béhaine, un agent expérimenté, plus enclin à la conciliation qu'aux témérités; il était certain qu'elles seraient interprétées avec tact.

Rien n’autorisait donc à prévoir qu'une démarche faite avec mesure par un diplomate de carrière, d’une prudence calculée, serait mal interprétée et que ses paroles et ses actes seraient travestis pour servir de thème à des attaques passionnées contre la France.

A peine M. Lefèvre de Béhaine eut-il manifesté l’intention de présenter quelques observations au sujet des communications faites au cabinet de Copenhague que M. de Thile, en proie à une vive émotion, réelle ou feinte, lui dit en l’interrompant : «Ceci est grave ; il ne m’est pas permis de vous écouter avant d’avoir pris les ordres du roi. »

Notre chargé d’affaires revit le sous-secrétaire d’état le lendemain. M. de Thile paraissait remis de son émotion, il était l’esclave de ses consignes ; il se montra cette fois disposé à écouter avec sérénité les observations que les affaires du Schleswig suggéraient au gouvernement de l’empereur, mais il se borna au rôle d’auditeur attentif. M. Lefèvre de Béhaine, pour mieux le convaincre de nos sentimens, ne crut pas se départir de ses instructions en lui laissant lire sa dépêche. M. de Thile prit des notes, il ne discuta pas, il ne contesta pas les engagemens moraux de la Prusse, mais il posa sèchement, comme un fait, sans le commenter, que le traité de Prague avait été conclu entre la Prusse et l’Autriche.

Au sortir de l’entretien, le sous-secrétaire d’état s’empressa de demander au ministre de Danemark si le chargé d’affaires de France lui avait parlé de sa démarche, sans doute pour s’assurer, s'il y avait connivence entre les deux gouvernemens. « La communication qu'il vient de me faire est d’une extrême gravité, lui dit-il, elle est de nature à frapper vivement l’esprit du comte de Bismarck ; tout ce qui aurait l’air d’une menace, ne l’oubliez pas, le poussera aux déterminations les plus contraires aux intérêts du Danemark. »