Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le lendemain, les journaux allemands parlaient en termes acerbes d'ingérence étrangère ; ils affirmaient que la France s’était permis de passer une note au cabinet de Berlin au sujet du Schleswig, qu'elle se mêlait de ce qui ne la regardait pas, et qu'on ne lui permettrait pas d’invoquer un traité qu'elle n’avait pas signé.

On répétait sans cesse que le gouvernement prussien avait le désir le plus sincère d’entretenir avec le gouvernement de l’empereur les rapports les plus confians, et cependant, il suffisait de l'appréciation la plus modérée de notre part sur des questions qui nous touchaient de près pour qu'aussitôt les susceptibilités prussiennes s’affirmassent avec violence et que la presse officieuse surexcitât le sentiment national. Il semblait qu'on voulût appliquer dans le centre de l’Europe la doctrine de Monroe et faire de l’Allemagne une espèce d’arche sainte, placée en dehors de tout contrôle. Cette manière de procéder était pleine de dangers, elle avait l’inconvénient d’ébranler à chaque instant la confiance publique. Les esprits modérés en Prusse le déploraient vivement, ils craignaient que, malgré les intentions conciliantes qui se manifestaient à la cour, M. de Bismarck, dont ils redoutaient les emportemens, ne finît, avec de tels procédés, par lasser notre patience. Il pouvait lui convenir de tenir le patriotisme germanique sans cesse en haleine au profit de sa popularité et de ses exigences intérieures, mais cette manière d’agir, peu régulière, n’était pas de nature à faciliter les rapports internationaux.

M. de Moustier ne s’expliquait pas les violences de la presse allemande et l’inquiétude que sa démarche si mesurée provoquait soudainement en Europe.

« Les journaux, télégraphiait-il à notre chargé d’affaires, insistent sur la remise d’une note française au sujet du Schleswig. Comme vous n’avez donné lecture d’aucune note s ur cette question ni sur aucune autre, je regrette que le gouvernement prussien n’ait pas tenu à éclairer ses journaux qui affirment des faits aussi matériellement faux et qui pourraient donner au public les notions les plus erronées sur nos rapports avec la cour de Berlin. Je vous prie de ne rien négliger pour que ces assertions soient démenties. » M. Lefèvre de Béhaine interpella M. de Thile sur l’étrange interprétation que la presse prussienne donnait à sa communication. « Il n’y a pas eu de note passée, je le reconnais, lui répondit le sous-secrétaire d’état, mais vous m’avez donné à lire la dépêche. — c’est vrai, répliqua notre chargé d’affaires, je vous en ai laissé prendre connaissance à titre confidentiel, pour vous permettre d'être mieux à même d’apprécier l’esprit conciliant qui nous inspire, mais je ne vous en ai pas donné lecture officielle et j’ai eu bien soin de l’établir. »