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le danger de concentrer dans une seule assemblée les délibérations et les responsabilités du gouvernement. Plus les sentimens chez nos pères étaient généreux et les desseins admirables, plus les maladresses, les inexpériences apparaissaient à chaque pas, créaient des obstacles et étaient autant de causes d’irritation et de colère. Avant le moment où elle surgit, la révolution était faite dans ces intelligences très cultivées. Le publiciste qui a le mieux connu cette élite et qui la recevait chez lui tous les soirs, au sortir des séances de l’assemblée, Mallet du Pan, constatait que les vœux des politiques modérés se trouvèrent dépassés même le jour où ils purent se produire. Un événement dont l’influence fut profonde et longtemps méconnue, l’indépendance des États-Unis et de l’Amérique du Nord, donnait à leurs passions démocratiques un élan démesuré.

Le goût pour la liberté était plus dégagé de toute espèce de liens chez les quarante grands seigneurs de la vieille noblesse. Ils avaient lu aussi, mais ils avaient passé la Manche. Il en était autrement de la petite noblesse provinciale très nombreuse à la constituante, et d’autant plus hostile qu'elle jalousait le monde de la cour. Pour les premiers, le mouvement révolutionnaire, au début, n’était que combat de plume et de paroles, qui ne leur paraissait faire aucun dommage à la supériorité d’existence dont ils jouissaient et qu'une possession de plusieurs siècles leur faisait croire inébranlable. Ils étaient prêts dès lors à accepter une monarchie parlementaire. Mais combien étaient-ils ? Et cependant, même vis-à-vis de ces grands seigneurs éclairés qui avaient vivement ressenti l’agitation de l’esprit du siècle, la bourgeoisie eut une méfiance incurable.

Les femmes n’étaient pas les moins ardentes. Les abus de la cour, la coterie de la malheureuse reine étaient l’objet de leur haine ; et les meilleures d’entre elles distribuaient des libelles qui descendaient du salon à la rue. Les émotions violentes les exposèrent à bien des retours. Que la révolution se fût accomplie sans égarement et sans crime, elles l’eussent suivie jusqu'au bout. Dans le trouble inévitable apporté aux intérêts par les événemens, elles avaient sur-le-champ, et les premières, pris leur parti de la gêne. La foi dans les idées nouvelles les soutenait. Il n’y avait pas jusqu'à l’enrôlement de leurs maris dans les gardes nationales qui ne leur plût! Elles n’avaient pas encore ressenti les fatigues du malheur et les mécomptes des espérances brisées. C’était dans le salon de Mme Panckouke soit à Paris, soit à Boulogne, ou dans le salon de Mme Pourrat à Louveciennes, qu'on eût le mieux noté, à l’aurore de la révolution, la transformation rapide des femmes de la haute bourgeoisie.

Il était à la mode d’appartenir à la réunion qui portait le titre