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que ce qu'il fallait aux produits d’exportation, c’étaient des facilités de gagner la mer par le plus court, aux denrées d’importation, des moyens de débarquer le plus près possible des lieux d'emploi; car c’est le transport par terre qui enraie surtout les échanges avec l’étranger. Il a donc recoupé les anciennes voies ou en a combiné le prolongement de façon à inscrire dans le périmètre de la province un triangle de grandes lignes ferrées dont les trois sommets s’appuient à la côte, l’un au nord, à San-Nicolas, l’autre au sud, à Bahia Blanca, le troisième au centre, à La Plata.

San-Nicolas est une ville sur le Parana, à laquelle peuvent arriver les bateaux de 15 pieds de tirant d’eau. Bahia Blanca est un port magnifique sur l’océan, où les plus grands vaisseaux et les plus belles flottes du monde peuvent tenir. j’ai peut-être quelque mérite à en avoir annoncé ici même[1] le bel avenir lorsque le village et le district, à soixante lieues à la ronde, n’avaient pas dix-huit cents habitans. Tout cela est bien changé ! Quant à La Plata, il est superflu de dire que, sous le rapport des chemins de fer, elle a été traitée en enfant gâté. Presque toutes les lignes qui convergeaient vers Buenos-Ayres n’ont pas demandé mieux que de s’infléchir pour pousser leurs rails jusqu'au port et s’assurer cette source de trafic. Elle présente déjà sur les cartes de voies ferrées une particularité propre aux villes importantes et qui permet de les reconnaître au premier coup d’œil ; elle rappelle l’aspect d’un carreau qui a reçu un projectile et dont les fêlures rayonnent en tout sens.

Voilà trois villes évidemment destinées à opérer ce que l’on pourrait appeler la décentralisation commerciale de la province et à devenir, chacune pour son compte, un centre d’attraction pour les produits importes ou exportés par la zone où elles se trouvent placées. Que Buenos-Ayres le veuille ou non, ils ne seront plus dans l'obligation de passer par ses entrepôts. Elle aurait tort de faire grise mine à cette conséquence inévitable d’un mouvement ascendant dont il y a lieu de s’enorgueillir. Les temps ne sont plus où une seule porte ouverte sur la mer suffisait au commerce extérieur d'une province qui lui présente en façade 1,500 kilomètres de côtes. Il y en a maintenant quatre, et on ne s’en tiendra pas là. On doit voir d’après ce qui précède que, si la nouvelle ville de La Plata était une capitale improvisée, cette improvisation-là, comme la plupart de celles qui ont du succès, avait été préparée avec le plus grand soin. Il est temps de ne plus s’occuper que d’elle.

  1. Voir, dans la Revue du 15 décembre 1877, Cent lieues de fossé.